TICKLED, le diable se cache dans les chatouilles

Auteur de reportages sur des sujets labélisés « insolites », le journaliste néo-zélandais David Farrier pensait avoir trouvé son bonheur en dénichant sur Internet une vidéo de ce qui se présentait comme étant une « compétition d’endurance aux chatouilles ». En réalité, il s’agissait de l’extrémité d’une pelote de fil qui, une fois déroulée, allait l’amener à rencontrer le diable – ou ce qui s’en rapproche le plus dans notre monde. Tickled, le documentaire que Farrier a tiré de son enquête, nous fait alterner entre rire très nerveux et angoisse tout sauf feinte. Et il ouvre un abîme qui donne le vertige : qu’est-ce qui peut bien se cacher d’inconcevable derrière n’importe quelle vidéo piochée sur le Web ?

La force de fascination et d’ébranlement d’un documentaire va souvent de pair avec sa capacité à convoquer des références puissantes venant du monde de la fiction. Pour Tickled celles-ci se bousculent à mesure qu’avance le film, propulsé dès ses premières minutes par la réaction immédiatement agressive, disproportionnée, donc forcément intrigante pour le journaliste qu’est Farrier, de la société organisant la « compétition » de chatouilles à sa demande d’interview. Insultés, menacés, attaqués en justice, Farrier et son compère Dylan Reeve répliquent en enquêtant, de plus en plus comme des détectives de film noir plutôt qu’en tant que journalistes ; jusqu’à lever le voile sur un inframonde dérangeant et dangereux, où les univers malfaisants de Demonlover et Chinatown s’entremêlent autour d’une figure foncièrement diabolique. Ce n’est pas une tournure de style : la personne que Farrier et Reeve finissent par trouver derrière les intimidations à leur encontre, et l’organisation mafieuse de l’exploitation sordide des participants aux « compétitions » de chatouilles, a toutes les caractéristiques du Diable.

Diable de cinéma : tel Keyser Söze, le méchant de Tickled avait réussi l’exploit de « convaincre le monde qu’il n’existe pas », en disparaissant derrière sa fortune et des alias informatiques factices. Cette déréalisation ne l’empêche pas pour autant, tel Tyler Durden, de recruter à tour de bras et d’établir des cellules clandestines aux quatre coins des États-Unis – « tickle clubs » plutôt que « fight clubs », l’idée est étrangement similaire, et autrement plus angoissante en raison du grand écart entre l’innocuité de façade des chatouilles et la profonde malfaisance de l’être qui tire les ficelles en coulisses. Un autre grand écart tout aussi tétanisant se crée entre l’impératif que cet individu soit humain (puisque nous sommes dans un documentaire et non une fiction), et l’évidence qu’il a tout d’un Diable de mythes : attirant les âmes dans ses filets en profitant de leurs besoins et de leurs souhaits, puis les contraindre à rester sous son joug en retournant ces mêmes ressorts contre elles, si l’envie leur prend de se rebeller.

Les USA, pays de pervers milliardaires refoulés ? Toute ressemblance avec un président fraîchement élu…

La confrontation physique que Farrier et Reeve parviennent finalement à obtenir avec cet être maléfique prend alors des proportions inouïes. On tremble devant son écran, rendus à l’état d’appréhension d’enfants sentant arriver la révélation de la figure de l’ogre monstrueux du conte, prêt à hanter leurs nuits. Plus tard, une fois le film fini et nos pensées remises en ordre, un autre élément s’ajoute à notre malaise : la très forte consanguinité entre le méchant de Tickled et celui, bien réel lui aussi, qui avait inspiré Foxcatcher, John du Pont. Deux héritiers de patrimoines colossaux, deux esprits maladivement obsédés par les rapports d’humiliations, ayant développé envers les corps un mélange de fascination et de rejet qui se formalise via la lutte chez l’un, les chatouilles chez l’autre. Les USA, pays de pervers milliardaires refoulés ? Toute ressemblance avec un président fraîchement élu…

TICKLED (Nouvelle-Zélande, 2016), un film de David Farrier. Durée : 92 min. Disponible sur Netflix depuis le 1er novembre 2016.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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