MARIA (Y LOS DEMAS), fille perdue, cheveux courts
Maria, la trentaine, appartient à une famille unie, a un travail, un projet (écrire un livre) qui lui tient à cœur, un petit ami. Mais le père de Maria est sur le point de se remarier soudainement, ses frères la dénigrent plus souvent qu’à son tour, son livre n’est pas près d’être publié et son petit ami n’envisage pas une relation sérieuse avec elle. Maria a tout, et rien à la fois.
Les tranches de vie générationnelles consacrées au mal à l’âme des jeunes adultes sont légion au cinéma, et encore plus sous la forme de premiers films comme l’est celui de Nely Reguera. On se méfie donc chaque fois que l’on en voit un nouveau spécimen apparaître, et souvent à raison – à force de vouloir tous êtres uniques, ils deviennent souvent tous similaires dans leurs formules faciles et leur superficialité. Maria (y los demas), pour sa part, est à l’image de son héroïne éponyme : discret mais toujours juste, sortant du lot pour ses qualités et non par de tapageuses proclamations. Reguera travaille et affine le portrait de son personnage, plutôt que de perdre son temps et le nôtre à faire de grands moulinets qui se voudraient porteurs de style. Less is more, comme il se dit en anglais ; avec pour démonstration de cet adage les deux inserts « pop » que se permet la réalisatrice (lorsque le film bascule de la réalité aux fantasmes de Maria concernant le succès que lui apporterait son roman), qui sont d’autant plus efficaces et plaisants qu’ils sont les seuls. La justesse de leur introduction et de leur exécution n’en saute que plus nettement à nos yeux.
D’un bout à l’autre le film mène de front ces deux ondes porteuses, ce que Maria veut pour elle-même, ce que les autres imposent à elle. La première est enjouée et souriante, la seconde étouffante et démoralisante
La valeur de ce genre de chronique filmée est proportionnelle à ce que l’on y trouve en commun avec sa propre expérience du monde, et Maria (y los demas) touche très juste. Depuis sa ville de Galice, Maria donne un visage à tous les trentenaires européens citadins coincés entre ce que l’on attend d’eux (et qui ne les intéresse pas) et ce qu’ils aspirent à mener à bien – sans qu’on leur en laisse la possibilité, ou même que l’on en comprenne la raison. Maria ne veut pas d’un mariage, d’une grossesse, d’un conjoint dont elle serait le subalterne ou d’une carrière lui permettant d’obtenir du pouvoir et un patrimoine. Elle souhaite s’accomplir suivant son propre chemin, tout en se montrant utile pour les autres ; attitude que le monde décide de travestir en opportunité de faire de Maria une sorte de domestique. On tient sa disponibilité pour acquise, on la considère comme se fondant à tel point dans le décor qu’on ne conçoit même plus qu’elle puisse surprendre, évoluer : être vivante (quand elle certifie à ses frères qu’elle a un petit ami, ceux-ci refusent de la croire). Sa gentillesse a aiguillé Maria sur une voie de garage. D’un bout à l’autre du film Reguera mène de front ces deux ondes porteuses, ce que Maria veut pour elle-même, ce que les autres imposent à elle. La première est enjouée et souriante, la seconde étouffante et démoralisante. La coexistence des deux crée la saveur douce-amère de Maria (y los demas), jusqu’à son final où rien n’a progressé mais dans lequel subsiste un rayon d’espoir – car Maria est incapable d’arrêter d’y croire.
MARIA (Y LOS DEMAS) (Espagne, 2016), un film de Nely Reguera, avec Barbara Lennie, José Angel Egido, Rocio Leon, Pablo Derqui. Durée: 96 minutes. Sortie en France indéterminée.