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Après avoir visité les cuisines de l’Elysée il y a trois ans dans Les Saveurs du Palais, Christian Vincent orchestre cette fois-ci un chassé-croisé amoureux au sein de la machine judiciaire française, dont le cinéaste montre les rouages tel un Raymond Depardon qui ferait dans le romanesque à l’ancienne.
Vingt-cinq ans après l’excellent La Discrète, Christian Vincent retrouve Fabrice Luchini pour les besoins de L’Hermine. Le cinéaste fait de son comédien un président de Cour d’Assises solitaire et visiblement peu apprécié de ses collègues. Nommé Martin Racine, celui-ci doit présider un procès pour homicide particulièrement sinistre dans le Nord de la France. Tâche déjà bien lourde, à laquelle on lui rajoute celle de devoir gérer les retrouvailles avec Birgit, un amour d’antan qui s’est retrouvé par le hasard le plus total parmi les jurés du procès. Ce qui commence comme un film de tribunal comme on en voit souvent (la plupart du temps aux Etats-Unis, mais aussi de temps en temps en France comme avec le récent Présumé Coupable) glisse doucement et subtilement vers la comédie romantique. Dans les premiers instants, ce procédé laisse quelque peu dubitatif, et ce malgré le plaisir évident qu’il y a à assister aux nombreuses joutes verbales qui émaillent ce procès, qui plus est lorsque ces joutes sont menées de main de maître par Luchini (qui prend un malin plaisir à exiger qu’on l’appelle « Monsieur le Président » et non pas « Monsieur le Juge »). Mais on est amené inconsciemment à se poser la question : qu’est-ce que Christian Vincent souhaite nous raconter, exactement ? S’agit-il d’une plongée dans les coulisses d’un procès pour homicide ? D’un film-dossier sur un fait divers particulièrement sordide ? Ou bien tout simplement d’une histoire d’amour ?
C’est en fait tout ça à la fois, et c’est ce qui fait toute l’originalité du film. Car ce mélange des genres, même s’il crée par moments une légère impression de malaise, lorsque par exemple on se surprend à rire franchement à certaines situations qui pourraient paraître caricaturales chez n’importe qui d’autre (la galerie des témoins défilant à la barre est à la limite de la galerie de freaks), permet au film de jongler entre les émotions tout en évitant de sombrer dans des clichés qui lui tendaient pourtant les bras. Il suffit par exemple d’une longue séquence entre les différents jurés, ceux-ci faisant connaissance autour d’un verre, pour avoir l’impression tangible d’avoir affaire non plus à des comédiens mais à des personnes bien réelles. Une qualité d’écriture qui permet aux spectateurs de se retrouver plongés, en douceur et sans forceps, dans les rouages du système judiciaire.
Mais là où le film fait vraiment mouche, c’est dans son histoire d’amour. C’est par une simple présence et la vision d’une robe dévoilée que Martin comprendra finalement que son amour d’autrefois est toujours là. La manière qu’a le réalisateur de traiter cette idylle perdue puis retrouvée a un petit quelque chose de Claude Sautet dans sa justesse et sa mélancolie sous-jacente. Birgit, interprétée par la superbe Sidse Babett Knudsen (vue dans la série danoise Borgen) qui confère à son personnage une douceur et une luminosité rares, aurait d’ailleurs pu être jouée par la Romy Schneider des années 70 (coïncidence ou pas, l’un des personnages secondaires est affublé des mêmes lunettes que Romy au début des Choses de la Vie). En tant que spectateur, on comprend parfaitement le trouble ressenti par Martin Racine lorsqu’il se retrouve face à elle, tentant de lui déclarer à nouveau sa flamme six ans après l’avoir perdue de vue.
Alors on pardonne aisément au film quelques maladresses. On avait déjà compris le sens caché de ce « Racine » (comme le poète et dramaturge), il n’était pas très utile d’en remettre une couche sur l’analogie cour de justice/scène de théâtre, notamment lorsque celle-ci est étalée par une pré-ado plus maline que tout le monde donc forcément un brin énervante. On peut également regretter un aspect un peu didactique de certains personnages secondaires, que l’on sent uniquement là pour expliquer aux spectateurs comment fonctionne un procès en France. Mais ce sont là quelques menus griefs pour un film dont l’ambition à la fois sincère et romanesque fait réellement du bien. En ces temps où le cynisme est à son apogée, il est agréable de sortir d’un film le cœur léger et le sourire aux lèvres. On n’en fera pas une montagne non plus mais au sommet de cette colline trône un Fabrice Luchini qui n’a jamais été aussi royal.
L’HERMINE (France, 2015), un film de Christian Vincent avec Fabrice Luchini, Sidse Babett Knudsen, Chloé Berthier, Corinne Masiero. Durée : 98 minutes. Sortie en France le 18 novembre 2015.