LA TETE HAUTE est-il contre PASCAL LE GRAND FRERE ?

Enfant négligé par sa mère, puis adolescent délinquant, Malony est un asocial suivi depuis toujours par une juge qui veut son bien, même quand elle impose de le placer en foyer : film d’ouverture de Cannes 2015, La tête haute s’attaque à la main mise de nos chaînes TV sur la misère, mais ne dit pas clairement s’il célèbre les valeurs de la République ou pointe du doigt ses citoyens de seconde zone.

 

La tête haute est au juge pour enfants ce que Polisse était à la brigade de protection des mineurs : normal, on trouve la même scénariste aux commandes, Emmanuelle Bercot, ici réalisatrice… Quand on écrit ça, on dit beaucoup du film, mais on passe à côté de ce qui le rend plus digeste que celui de Maïwenn : un protagoniste plutôt qu’un récit choral et surtout, un protagoniste du côté du bureau où on répond aux questions, pas de celui où on les pose. La tête haute se présente comme moins édifiant, moins donneur de leçon ou redresseur de tort que Polisse, parce qu’il s’en tient à un destin individuel qui n’a pas valeur d’exemple et ne représente pas un groupe plus large. Du moins l’espère-t-on, jusqu’au dénouement et à une ultime image faisant passer un message clair, comme le ferait un spot de recrutement de surveillants de prison ou une pub pour un candidat à la présidentielle : la foi en l’avenir est un pur produit de la République française, et le palais de justice, un temple rédempteur et miséricordieux.

Clair donc, mais néanmoins ambigu. Maïwenn et Emmanuelle Bercot voient des anges-gardiens dans des figures autoritaires que nombre d’entre nous défient par principe, justement parce qu’elles incarnent l’autorité. Statistiquement, tout corps de métier peut compter sur quelques samaritains. Les deux réalisatrices ont le droit de les mettre en scène, eux plutôt que leurs médiocres confrères, mais cette approche est vouée à se retourner contre elles. Au mieux, elles seront traitées d’optimistes ou d’idéalistes ; au pire, de maladroites qui n’arrivent pas à mettre en scène nos concitoyens autrement que comme des assistés, des idiots ou des sauvages que l’État doit éduquer alors qu’il aurait mieux à faire… On se demande si le film nous démontre qu’à force de patience, nul n’est irrécupérable pour la société (vive notre République), ou s’il nous dit que certaines mères feraient mieux de s’occuper de leurs enfants, au lieu de laisser les pouvoirs publics le faire à leurs places. Déplore-t-il le déterminisme social ? A moins qu’il ne stigmatise involontairement les citoyens de seconde zone ?

 

il y a forcément du Tellement vrai ou du Pascal le grand frère dans La tête haute, parce qu’il aborde des sujets et met en scène des personnages devenus en France des éléments d’un genre exclusivement télévisuel.

 

LA TETE HAUTE de Emmanuelle BercotA ce sujet, les deux petites remarques, entendues dans les dialogues, sur le coût prohibitif du placement en foyer font tiquer. L’insistance sur l’irresponsabilité de la mère du héros s’avère dérangeante elle aussi, surtout quand le film multiplie les confrontations nous invitant à déplorer le contraste entre cette femme irrécupérable et ses interlocutrices toujours plus bienveillantes, douces, fertiles. Les mères n’étaient déjà pas à la fête dans Polisse. Elles le sont encore moins avec La tête haute, qui va jusqu’à opérer un bizarre distinguo entre la maternité (qui plombe) et la paternité (qui sauve), après une séquence impliquant une IVG, péripétie qu’on suspecterait de misogynie si elle avait été l’œuvre d’un homme…

Il y a toutefois une chose importante que l’on ne peut enlever ni à Emmanuelle Bercot, ni à Maïwenn, en plus de ce qu’elles obtiennent de leurs acteurs, de ce qu’elles font de bien avec eux simplement en les enfermant dans un bureau (la scène d’ouverture, filmée à hauteur de Malony alors enfant, est parfaite), de la matière documentaire qu’elles injectent : elles s’attaquent à la main mise de la télévision sur la misère. La petite délinquance, l’absence de repères d’un adolescent, le psychodrame des confrontations : tout cela alimente la télévision, seulement la télévision, et uniquement sur le mode de l’infotainment (toutes les émissions de la TNT consacrées à la BAC ou autres) ou de la real TV. Oui, il y a forcément du Tellement vrai ou du Pascal le grand frère dans La tête haute, non parce que le film entretient des liens esthétiques avec ses programmes, mais parce qu’il aborde des sujets et met en scène des personnages devenus en France des éléments d’un genre exclusivement télévisuel. Emmanuelle Bercot tente au moins d’attaquer le monopole du petit écran sur la misère, en conférant à cette dernière une amplitude feuilletonnante (trop d’ailleurs, certains événements du film passeraient mieux s’ils étaient davantage espacés), en donnant de l’épaisseur à ses stéréotypes, plutôt que de s’en servir de sujets de moquerie. Est-ce qu’à l’arrivée, il en fait quelque chose de vraiment différent idéologiquement ? C’est l’absence d’une réponse indiscutablement positive à cette question qui empêche d’adhérer à La tête haute.


LA TÊTE HAUTE (FRANCE, 2015), un film d’Emmanuelle Bercot, avec Catherine Deneuve, Rod Paradot, Benoît Magimel, Sara Forestier. Durée : 119 min. Sortie en France le 13 mai 2015.