BETTER CALL SAUL est-elle ‘better’ que BREAKING BAD ?

Tout le monde tient à le clamer : Breaking Bad fut l’une des meilleures séries de tous les temps. N’a-t-on pas été trop vite en besogne ? Si cet avis quasi-unanime mérite d’être nuancé, la question qui est sur toutes les lèvres aujourd’hui n’existe qu’à cause de ce présupposé critique : Better Call Saul, spin-off et petite sœur de Breaking Bad, peut-elle être meilleure que son aînée ?

Fin des années 2000 : Breaking Bad a propulsé, en termes d’audience et d’accueil critique, la petite AMC, chaîne câblée spécialisée dans la diffusion de films de catalogue classiques, de rang d’outsider à celui de nouvelle HBO. À ses côtés The Walking Dead et bien sûr Mad Men, qui va à son tour trouver sa conclusion très prochainement. Il ne nous viendrait pas à l’idée de rejeter en bloc tout Breaking Bad ; son casting impeccable et ses personnages colossaux ont fait tenir la série durant cinq saisons et c’est au moins cette même promesse que doit tenir Better Call Saul. L’exhortation du titre, les fans la connaissent bien : quand vous avez un problème, vous feriez mieux d’appeler Saul Goodman, avocat véreux et débrouillard, prêt à vous sortir de toutes les situations contre quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Un personnage de second plan qui a pris tellement d’importance au fil des années que le créateur et showrunner de Breaking Bad, Vince Gilligan, a décidé d’offrir à Bob Odenkirk un premier rôle à sa mesure. Dans l’histoire de la télévision américaine récente, si on met de côté les franchises comme celle de CSI (Les Experts) ou les productions Dick Wolf (New York Police Judiciaire, New York Section Criminelle, etc.), rares sont les spin-offs qui trouvent leur public et ont la possibilité de vivre plusieurs saisons. Quelques exceptions notables sont à trouver du côté de la comédie (Frasier par exemple, le sympathique spin-off de Cheers) en format 26 minutes ; format qui devait au départ être celui de Better Call Saul avant qu’il soit finalement décidé de le rallonger à un plus traditionnel 42 minutes, durée des séries dramatiques qui fut celle des épisodes de Breaking Bad. L’envie première de lorgner sérieusement vers la comédie sera-t-elle la planche de salut de Better Call Saul ?

On ne nous présente pas le Saul Goodman verbeux et compétitif qu’on a pu rencontrer dans Breaking Bad mais James McGill, l’identité première et véritable du même personnage

Après deux épisodes montrés au Festival de Berlin en même temps que leur diffusion sur AMC et Netflix, la crainte et l’enthousiasme sont autant de rigueur l’un que l’autre. La formule bien rodée de Breaking Bad est de mise, entre vie intime étouffante, menaces criminelles, gaudrioles saugrenues, célébration des minables et affrontement avec les vilains de ce monde qui peuvent nous détruire ou nous aider à avoir une vie meilleure. Comme toujours l’Amérique souffre, personne ne s’aime et tout le monde se bat contre un destin écrasant, une vie rangée sans attraits ni grand confort. L’argent, l’une des motivations ultimes de Walter White, est aussi au cœur de Better Call Saul. Tout ne tend que vers cet unique point de fuite : il faut impérativement être riche pour survivre et conjurer le malheur. La surprise principale de la série vient du fait qu’on ne nous présente pas le Saul Goodman verbeux et compétitif qu’on a pu rencontrer dans Breaking Bad mais James McGill, l’identité première et véritable du même personnage, à un moment où il enchaîne les affaires en tant qu’avocat commis d’office. Il y défend les plus démunis, les crades et les idiots, des jeunes gens qui gâchent leur vie en un rien de temps, comme lors de l’hilarante ouverture du premier épisode quand Saul – continuons de l’appeler Saul – doit défendre une bande d’adolescents qui ont pénétré par effraction dans un funérarium pour jouer avec un cadavre et s’adonner à des pratiques sexuelles avec ses restes. Bob Odenkirk est ravissant dans le rôle de l’avocat impérial faussement impliqué, prêt à cracher tous les mots, à entreprendre tous les petits arrangements possibles pour sauver des clients qui ne le méritent pourtant pas. En parallèle, comme le fit lourdement son aînée, Better Call Saul déploie sa mythologie sur le temps et l’espace, usant de flashbacks et de flashforwards à n’en plus finir, dans un but tout aussi roublard que Breaking Bad en son temps : de cette façon, le spectateur reste alpagué à son écran dans l’espoir de découvrir ce qu’est devenu son univers après la fin de Breaking Bad. Fausse promesse à n’en pas douter, et démarche putassière dont tout le monde aurait pu se passer.

Série judiciaire à moitié comique ? Genèse du perdant magnifique qui fait ses premières armes avant d’atteindre la gloire ? Thriller noir et absurde où Saul va avoir affaire aux plus crapuleux pour mieux se tirer d’affaire ? Better Call Saul est hybride, gracieuse et inquiétante, ni très amusante ni très touchante, et compte avant tout sur le corps reptilien, gouailleur et plein de vigueur de Bob Odenkirk pour porter son récit. La dualité, la complémentarité des deux personnages de Breaking Bad est absente, ou reste peut-être encore à venir. Et si la comparaison avec Breaking Bad revient sans cesse c’est que Better Call Saul en joue largement. Les caméos d’anciens de la série sont nombreux, allant de la simple apparition à un rôle prépondérant dans cette nouvelle histoire. Better Call Saul est une série de fanboys, qui louvoie vers son public passé, en lui faisait bien sûr miroiter le retour de Walter White ou de Jesse Pinkman. Une promesse qu’elle ne peut logiquement pas tenir, encore une fois. Mais le rêve déraisonnable de tout fan, retrouver ses héros perdus, est plus fort que toute logique narrative.

Walter White était profondément mauvais, Saul Goodman est foncièrement bon. C’est pour cela que Better Call Saul ne sera jamais la copie de Breaking Bad

Là où la série est plus intelligente que ce qu’on pouvait attendre c’est qu’elle aiguise le ton de son aînée tout en se suffisant à elle-même. Rien n’exige, pour saisir la portée de tous les évènements qui se déroulent devant nos yeux, d’avoir vu ne serait-ce qu’une seconde de Breaking Bad. Savamment pensée, lorgnant du côté des frères Coen plutôt que vers la série de procès, Better Call Saul mérite une mention d’honneur pour réussir là où Breaking Bad nous avait bien vite fatigué : la vie intime du personnage principale y est secrète, sa vie familiale trépidante, son passé entouré de mystère. Saul Goodman n’est pas Walter White, il n’est pas un homme sorti nulle part, pur fantasme et création de télévision. C’est son passé qui le définit. Mais c’est aussi là où le bât blesse : Saul Goodman n’a pas la démesure, ne possède pas la folie fière et écrasante de Walter White. C’est pour ça que Breaking Bad a fasciné durant tant d’années. Nous assistions à la lente éclosion d’un démon, figure masculine normale, pensant faire le mal pour défendre le bien ; sauver sa famille. Très vite, ses actions et ses décisions radicales nous ont terrifié, gêné, nous ont prouvé que le système peut à tout moment déraper, que la bête qui sommeille au fond de tout personnage peut s’avérer incontrôlable. Ce désir puissant, cette créature de télévision qui passait de monsieur Tout-le-monde à démiurge infernal, c’était le cœur et la force de Breaking Bad. Walter White dominait son monde. Saul Goodman lui est complètement démuni, gentil petit aigri obligé de bander ses muscles pour se faire sa place dans la cour. Walter White était profondément mauvais, Saul Goodman est foncièrement bon. C’est pour cela que Better Call Saul ne sera jamais la copie de Breaking Bad. C’est aussi pour cette raison que Better Call Saul ne peut pas exercer la même fascination, pour le moment en tout cas. Le chemin de Saul Goodman est encore long pour qu’il devienne le personnage que nous connaissions et nous ne demandons qu’à avoir tort.

BETTER CALL SAUL (USA), une série de Vince Gilligan & Peter Gould, débutée en 2015, diffusée par AMC. Avec Bob Odenkirk, Jonathan Banks, Rhea Seehorn. 10 épisodes de 50 minutes. Diffusion en France via Netflix.

Hugues Derolez
Hugues Derolez

Jeune à problèmes et critique franchouillard pour Vodkaster, Slate et Trois Couleurs.

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