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Mécanicienne dans la marine, Alice laisse à terre son petit ami Félix pour embarquer sur le Fidelio, un bateau qu’elle a bien connu et sur lequel elle retrouve un ancien amant, Gaël, le commandant de bord. Ce voyage initiatique sur un bateau mystérieux où rôdent la mort, la perte et la solitude, est le premier long-métrage de Lucie Borleteau, remarqué à Locarno et à La Roche-sur-Yon, notamment pour la prestation habitée d’Ariane Labed.
Fidelio, l’odyssée d’Alice est un quasi huis clos. Le Fidelio, bateau étrange et inquiétant, bateau monstrueux, en est le décor presque unique. D’emblée, le film s’emploie à observer avec minutie le quotidien et le travail des marins dans ce lieu tour à tour oppressant (la salle des machines) ou impressionnant (le pont, la cabine du commandant). À l’intérieur de ce microcosme, c’est sur Alice que la réalisatrice focalise son regard : cette dernière vient d’intégrer l’équipage afin de remplacer l’un des marins, mort dans des conditions mystérieuses.
« Peut-on aimer plusieurs personnes à la fois ? ». C’est ce questionnement assez classique qu’incarne de prime abord Alice. Une romantique à la fois décidée (à vivre sa vie comme elle l’entend) et indécise. En effet, le choix, traditionnellement dévolu à des personnages masculins, entre un amour terrestre, concret, quotidien (Anders Danielsen Lie, le bouleversant héros de Oslo, 31 août, ici infiniment touchant) et un amour « marin », plus éphémère et fantasmé (Melvil Poupaud) est au centre du film. Le titre ne nous ment pas : c’est bien à une odyssée que nous assistons. Le voyage sur le Fidelio correspond à un voyage intérieur pour la protagoniste, à un apprentissage. Alice sort grandie de ce parcours et peut enfin décider quelle vie elle souhaite mener et avec qui, même si ce choix la met face à l’inconnu.
Cet enjeu s’étend à tous les personnages. Chacun incarne une manière différente de conjuguer sa vie terrestre et sa vie en mer. Cependant, on finit par regretter que Fidelio se focalise sur ce thème somme toute éculé au détriment d’éléments plus mystérieux et étonnants, comme la découverte du carnet tenu par Legall, le marin mort que remplace Alice. Peut-être par peur du romanesque, cette arche narrative est abandonnée à l’occasion d’un « ventre mou » au milieu du récit pour revenir de manière trop subite et déceptive à la fin. Seul le mystère imprenable qui entoure la liaison entre Alice et Gaël donne un peu plus de souffle à l’ensemble.
Lucie Borleteau s’interroge aussi sur ce qu’est être une femme dans un monde presque entièrement masculin, sans jouer sur des oppositions binaires et dépassées. Alice se fond bien dans l’atmosphère du Fidelio, même si ne sont pas éludés ici les dangers et menaces auxquels elle fait face – une tentative de viol, événement d’ailleurs traité d’une belle manière, ni racoleuse ni génante, ce qui est assez rare pour être noté. La cinéaste prend le temps qu’il faut pour observer la place d’Alice dans ce monde d’hommes, où ses collègues sympathiques mais un peu beaufs regardent des films porno et fréquentent des prostituées dans les ports où le Fidelio fait escale (ce qui donne d’ailleurs lieu à une séquence très maladroite lorsque le bateau s’arrête quelque part en Afrique, dans un lieu indéterminé et stéréotypé où les liens malsains avec les autochtones sont très peu questionnés).
En fait, tout ceci pourrait apparaître extrêmement banal et caricatural s’il n’y avait l’interprétation subtile et émouvante d’Ariane Labed, et le regard posé sur elle par la cinéaste. Cette dernière prend tant de plaisir à filmer (en scope) ce corps et ce visage pleins de mystère et de désir que le film transcende son scénario en lui donnant véritablement chair. Une sorte de doux entêtement traverse l’actrice et le personnage et donne son cœur à Fidelio.
FIDELIO, L’ODYSSÉ D’ALICE (France, 2014), un film de Lucie Borleteau, avec Ariane Labed, Melvil Poupaud, Anders Danielsen Lie. Durée : 97 min. Sortie en France le 24 décembre 2014.