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Sophie Letourneur reprend ses personnages habituels et les plonge dans un drôle de conte mâtiné de comédie romantique : à la campagne pour quelques jours, Gaby (Lolita Chammah) se voit lâchée par ses amis, puis son copain, incapable de supporter plus longtemps ses caprices. Angoissée à l’idée de dormir seule, la jeune femme « épuise » un à un les clients du bar du coin avant de s’introduire dans la vie du gardien du château, solitaire hirsute et taiseux qui finit par tolérer sa compagnie (Benjamin Biolay). Une nouvelle variation autour de La Vie au ranch qui démontre que la cinéaste vaut décidément mieux que sa caricature.
C’est peu dire qu’on a déjà été agacé par les personnages de Sophie Letourneur : bavards, narcissiques, totalement engoncés dans leur génération, leur milieu, leurs stéréotypes. On conçoit par conséquent l’agacement que les films peuvent eux-mêmes provoquer. Il y aurait pourtant quelque injustice à ne pas faire la différence entre ceux-ci et ceux-là. Les personnages n’ont aucun recul, les films en ont à revendre. Il suffit pour s’en convaincre de voir les premières minutes de Gaby Baby Doll, avec ses bobos trentenaires qui se promènent sur des routes de campagne, écho évident au Charme discret de la bourgeoisie. La cinéaste n’est pas toujours tendre avec ses créatures, à commencer par Gaby, nouvelle figure de chieuse dans la lignée des filles des films précédents – mais Félix Moati, reprenant son rôle de post-adolescent parisien sûr de lui, n’est pas plus sympathique.
Plus drôle, plus féroce qu’on ne l’avait crue au départ donc. Plus talentueuse aussi : capable d’outrance, de grotesque, même, sans que le trait paraisse forcé (Biolay qui se décompose en apprenant qu’il ne reste plus de pépitos). Capable aussi de belles trouvailles de narration. Gaby, effrayée à l’idée de dormir seule, se rend chaque soir dans le bar local, en ramène un client : un grand sentimental qui s’imagine illico débuter une belle histoire, un supposé queutard qui s’écroule ivre, un rugbyman affamé. Il y a là, dans la structure narrative, quelque chose qui rappelle Hong Sang-Soo (la répétition malicieuse, l’usage discret de procédés du cinéma européen moderne), en un peu plus potache. Plus tard, le film saura orchestrer la rencontre de sa parisienne avec un solitaire taiseux, suivant un schéma de comédie romantique éprouvé – ça n’a l’air de rien mais la palette continue de s’étoffer.
Au fond, chaque nouveau film peut se lire comme une variation de plus autour de sa pièce maitresse La Vie au ranch (on pourrait aussi parler de post-scriptum, ou de codicille). Considérée très sérieusement alors, un peu trop sérieusement sans doute, comme l’héritière de Rozier, la cinéaste capable de réactiver en France le cinéma-vérité, Letourneur n’a pas cessé depuis de retirer de la solennité à son cinéma. Le Marin masqué était une sorte de pastiche (très drôle) de son film précédent, à la limite de l’auto-parodie. Les coquillettes un remake en forme de film de vacances (des critiques et cinéastes en festival). A peine plus ambitieux, Gaby Baby Doll lorgne du côté du Sauvage de Jean-Paul Rappeneau (l’enquiquineuse, le barbu bourru) avant de se tourner carrément vers le conte (on dira simplement, pour ne rien déflorer, qu’il est question de château abandonné et d’occupants disparus), permettant à une dimension un peu plus inquiète d’émerger (l’angoisse du sommeil, trait comique au départ, finit par prendre une certaine densité). C’est assez bien fichu et ça témoigne à nouveau que le cinéma de Letourneur, certes caricaturable, se montre chaque fois meilleur que sa caricature.
GABY BABY DOLL (France, 2013), un film de Sophie Letourneur. Avec Lolilta Chammah, Benjamin Biolay, Félix Moati. Durée : . Sortie en France le 17 décembre 2014.