THE CREATOR OF THE JUNGLE, la cité presque perdue de Tarzan et Charles Foster Kane

Les années d’un grand enfant et Tarzan moderne passées dans une forêt de Catalogne, l’oeuvre monumentale qu’il y bâtit et le cinéma amateur qu’il y pratique lorsqu’il rencontre l’un de ses admirateurs. Un petit film de found footage sauvage et passionnant. 

Colonel Kurtz sans communauté et sans adorateur, Tarzan sans Jane, Noé sans déluge, cinéaste sans œuvre et sans spectateur : Garrell, le « héros » du passionnant documentaire de Jordi Morato, a été tout cela à la fois. Un grand enfant et un artiste hors du commun qui a passé près de cinq décennies dans la même forêt d’Arguelaguer, un village de Catalogne, pour y bâtir un immense terrain de jeu tenant à la fois du zoo (les animaux récupérés par Garrell et du coup ramenés à leur milieu naturel) et du décor de science-fiction (au choix, le repaire des Ewoks dans Star Wars, les habitations sylvestres haut perché dans La machine à explorer dans le temps de Simon Wells), du parc d’attraction et de la cabane dans les bois éloignée de « l’homme civilisé ».

THE CREATOR OF THE JUNGLE de Jordi MoratoC’est la menace que Garrell redoute quand il en vient à se confondre avec son personnage de Tarzan. C’est aussi un moment où se perd pour le spectateur la distinction entre le réel et le jeu de la fiction : a-t-il perdu la raison ? La bande de motards à laquelle il tente d’échapper a en a-t-elle après lui ou après Tarzan ? Garrell incarne le mythique homme-singe à plusieurs reprises devant la caméra d’Alexei, un adolescent de 14 ans qui le suit six étés durant. Ce found footage, ces images de cinéma amateur et primitif, dont la qualité esthétique n’entre finalement pas en ligne de compte, constituent le coeur de The Creator of the Jungle, sa part la plus surprenante.

The Creator of The Jungle prend une tournure mélancolique quand l’activité de Garrell est filmée par un spécialiste en art et non plus par un adolescent amateur, quand cette activité consiste à travailler non plus le bois mais la pierre, non plus à ciel ouvert mais dans une grotte afin d’y creuser sa propre tombe.

Jouxtant une autoroute, la création de Garrell pouvait difficilement passer inaperçue. Elle a eu ses visiteurs, émerveillés pour la plupart, capables avec plus ou moins de bonheur de se repérer à l’intérieur du labyrinthe conçu par le maître des lieux, malveillants pour certains, comme ces vandales qui y mettent le feu mais ne découragent pas Garrell qui reconstruit plus grand, plus haut, plus fort, plus solide. Deux autres incidents donnent à penser qu’on lui a jeté un mauvais sort : la construction d’une route au milieu de sa cité presque perdue et la municipalité qui le juge aujourd’hui trop vieux et veut le voir déguerpir. The Creator of The Jungle prend une tournure morbide et mélancolique quand il entre dans la captation au présent, quand l’activité de Garrell est filmée par un spécialiste en art et non plus par l’adolescent amateur, quand cette activité consiste à travailler non plus le bois mais la pierre, non plus à ciel ouvert mais dans une grotte afin d’y creuser sa propre tombe. C’en est alors fini de l’art naïf du « Tarzan d’Arguelaguer », comme de cet ours en peluche qui fond dans les flammes tel un chamalow. Kurtz, Noé, Tarzan et pour finir Charles Foster Kane qui de lui-même aurait décidé de détruire son Xanadu et de jeter son « Rosebud » au feu. 

THE CREATOR OF THE JUNGLE (Espagne, 2014), un film de Jordi Morato. Durée : 77 minutes. Sortie en France indéterminée. 

Nathan Reneaud
Nathan Reneaud

Rédacteur cinéma passé par la revue Etudes et Vodkaster.com. Actuellement, programmateur pour le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux et pigiste pour Slate.fr. "Soul singer" quand ça le chante.

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