De GRACE, fais-moi ressusciter
Quelques temps après la sortie de Holy Motors, nous consacrions un texte au thème du « revivre » et à la possibilité pour le biopic de ne plus faire appel à l’acteur pour prendre la place d’une star disparue. Sur-biopic, au sens où il a une actrice pour personnage principal, Grace de Monaco offre l’occasion de reparler d’un genre moribond et de ce cinéma dématérialisé, partout et nulle part, à la fois mort et vivant.
« J’veux vivre encore. Fais-moi ressusciter » : ce sont les premiers mots d’Edith Piaf/Marion Cotillard dans La Môme. La chanteuse s’effondre sur scène en plein « Heaven Have Mercy » et implore le Christ. Sa prière est entendue. Le récit embraye sur son enfance misérable. « Fais-moi ressusciter » : parlant depuis l’au-delà, Piaf réclame son biopic. Sept ans après La Môme, Olivier Dahan en consacre un autre, beaucoup moins inspiré, à Grace Kelly et à son désir contrarié de retourner travailler à Hollywood.
La vie princière lui offre son dernier grand rôle. Avec des caméras quand Grace épouse Rainier (Grace de Monaco montre le vrai film du mariage et la véritable Grace Kelly), ou comment l’actrice connaît une destinée similaire à celle de Audrey Hepburn dans Vacances romaines…sans toutefois la possibilité pour elle de se soulager de la pompe royale. Sans caméra quand Grace (la fausse, Nicole Kidman) sauve Monaco de l’annexion française en se créant un personnage, encore à la façon de Hepburn (éducation, métamorphose et imposture, trois éléments récurrents du scénario hepburnien). Devenu invisible, le cinéma ne peut plus être cette pratique suspecte qui éloigne la princesse de ses devoirs. Grace s’excuse même de filmer ses enfants avec une caméra amateure et renonce au Marnie d’Hitchcock – abominable imitation de Roger Ashton-Griffiths. Il y a encore du cinéma pour elle dans le Rocher, mais sans « moteur » ni « action ».
Grace…est un mauvais biopic mais il dialogue avec quelques films marquants : Holy Motors de Leos Carax, Alps de Yorgos Lanthimos et Le Congrès d’Ari Folman. Leur point commun : l’acteur, à travers la condition d’acteur la possibilité d’une résurrection et, comme corollaire de ce « revivre », la disparition du cinéma, de sa matérialité, de sa mécanicité. Revenons-y rapidement. Chez Carax, ce sont les 11 rendez-vous d’Oscar (Denis Lavant) et son étrange activité qui consiste à passer d’une vie à une autre, y compris quand l’une de ces vies consiste à mourir : l’extraordinaire scène de Monsieur Vogan qui voit l’acteur rendre son dernier souffle puis se relever. On se relève de sa mort dans Holy Motors parce qu’elle n’existe, pour ainsi dire, pas. « J’ai même cru que j’allais mourir un jour » confie le supérieur hiérarchique d’Oscar quand il s’invite dans la limousine-roulotte de ce dernier.
Aujourd’hui, la publicité donne raison au Congrès d’Ari Folman et à la cour monégasque qui refuse que Grace fasse son come-back. Eternellement à la retraite et éternellement au travail, la star a été remplacée par son avatar numérique.
Dans Alps, la société sécrète du même nom propose aux familles endeuillées de prendre la place de leur proche disparu : « quel est ton acteur préféré ? » est la question posée par l’un des membres à une jeune femme à l’agonie. Enfin, dans Le Congrès de Folman, le plus méta de tous, Robin Wright accède à l’éternelle jeunesse en cédant son image à l’industrie hollywoodienne (Folman arrive après Robert Zemeckis qui a offert une deuxième jeunesse à Robin Wright dans Beowulf). C’est désormais sa copie numérisée qui travaille pour elle, tourne dans les films que l’actrice, ici dans son propre rôle, n’a jamais voulu faire. Dans Alps, c’est le chef Mont Blanc qui se prend pour une star morte en imitant Bruce Lee. Une belle coïncidence quand on sait que Lee fut remplacé par une doublure dans Le Jeu de la Mort, après avoir succombé à un oedème cérébral. Ce film testamentaire rejoint le projet du biopic dans ses deux versants fictionnel et documentaire. L’acteur qui prend la place du mort d’un côté. L’archive de l’autre, avec les véritables obsèques de Bruce Lee et le plan obscène de son cadavre allongé dans un cercueil.
Aujourd’hui, la publicité donne raison au Congrès d’Ari Folman et à la cour monégasque qui refuse que Grace fasse son come-back. Eternellement à la retraite et éternellement au travail, la star a été remplacée par son avatar numérique. L’avenir du biopic est-il dans cette image impressionnante où Charlize Theron claque deux bises à une vraie-fausse Grace (plus réaliste en tout cas que le visage figé de Nicole Kidman) ? Y a-t-il là sa deuxième vie, son « revivre » ?
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