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Vous n’êtes pas au Festival de Cannes, mais vous avez envie de briller dans les soirées mondaines ? Voici la solution : condescendance et aplomb, propos nébuleux, formules passe-partout, références obscures, agressions gratuites… Dix-huit réponses imparables pour autant de films en Compétition.
« Qu’as-tu pensé de Maps to the stars, le nouveau Cronenberg ?»
Tu sais, moi j’aime l’ancien Cronenberg, celui qui était plus viscéral. J’aimais ses trips de tripes. Après, ses délires sur le corps mutant, ça a toujours été une représentation de l’esprit, tu comprends. A moins que ce ne soit une vue de l’esprit que de le penser. En tout cas, sa nouvelle obsession pour le mental, perso, ça m’agresse. Physiquement. Même si cette fois-ci, c’est encore autre chose, c’est plus sur la spiritualité de la mentalité physique, je dirais. Tu me suis ?
«Non. Et sinon, les Dardenne, ils se renouvellent eux ?»
C’est un faux débat. Les Dardenne, ils se réinventent à chaque film, mais c’est très discret. Dès leur premier film, ils se réinventaient déjà. Avec leur précédent, Le mioche en skate, un truc comme ça, ils avaient osé ajouter de la musique pour la toute première fois. Une vraie révolution. A ce rythme-là, d’ici quelques années, leur septième Palme d’or sera sûrement un film de SF avec Jennifer Lawrence et Eric Cantona.
«Il y avait aussi le dernier Ken Loach. Y’en a pas marre des habitués ?»
C’est un faux débat. Il n’y a pas d’ « habitués », il y a juste des grands réalisateurs qui font encore de grands films et sont donc de nouveau sélectionnés en Compétition, c’est tout. Oh, mince… J’ai l’impression de parler comme Thierry ! Ouais, ouais, « Frémaux », mais je l’appelle Thierry.
«Au moins, Damien Szifron, le réalisateur de Relatos Salvajes, c’est un nouveau venu…»
Attends… T’es un jeune cinéaste né le 9 juillet 1975 à Ramos Mejía, en Argentine, réalisateur de El fondo del mar (2003) et Tiempo de valientes (2005), et qui présente son film à Cannes au Grand Théâtre Lumière qui accueille depuis 1983 les longs métrages en Compétition et Hors Compétition de la Sélection Officielle, dont la capacité est de 2307 places assises et dont l’accès se fait par les Marches Rouges sur invitation seulement… eh ben, c’est beaucoup de pression.
«Et t’as aimé Captives d’Atom Egoyan ?»
J’ai dormi.
«Ah… Oui j’ai cru comprendre que ça arrivait souvent aux festivaliers de dormir devant les films. Et Sils Maria, d’Olivier Assayas ?»
En fait, je m’étais reposé devant le Egoyan, donc j’étais en forme après. Du coup, je suis allé en soirée, un truc hyper tendance, dans les hauteurs des hauteurs de l’arrière-pays cannois, vers Clermont-Ferrand. Ce qui fait que, le lendemain, au moment de la projo du Assayas, j’étais éclaté. Alors, j’ai dormi.
«Ah… Et t’as dormi devant Sommeil d’hiver ? 3h16, le bazar, tout de même !»
Devant le Ceylan ? Ah non, non, pas une seconde. Enfin si, peut-être quelques secondes. Ça me fait penser à ce que confiait Gérard Lefort à Maria de Medeiros dans son docu sur les critiques : il expliquait que s’il ne se souvenait pas avoir dormi devant tel film de Tarkovski, ses collègues lui avaient pourtant assuré que sa scène préférée du film… n’était pas du tout dans le film. Il l’avait rêvée. Ben là, je sais pas si j’ai rêvé ou non la relecture de la chorée finale des Profs dans le film de Ceylan, mais c’était sublime.
«Heureusement, Adieu au langage de Godard ne dure que 1h10, lui… C’est mieux. Faudrait le faire pour s’assoupir.»
Ah, Godard… Godard, c’est Godard. Une anthologie ontologique, ou une ontologie anthologique. Or, rien n’est logique, et la logique n’est rien. Pourtant, ce qui est, et restera, c’est que JLG, c’est JLG. Mais JLG, c’est toujours sans JGL. Car Joseph Gordon l’évite.
«Oui, hum, tout à fait. Et donc si je comprends bien… C’était pas le meilleur français de la Compet. C’était lequel alors, The Search de Hazanavicius ?»
Alors, déjà, Godard est suisse. Et d’une. Et de deux, c’est un faux débat, difficile de parler de « film français » pour le Hazanavicius. Ça parle du conflit opposant les russes aux tchétchènes, ça se passe là-bas et ça parle en… la langue qu’on parle là-bas. Mais au moins, cette fois-ci, ça parle.
«Mommy, alors ?»
Oh, tu le fais exprès, là ? Ça s’entend qu’il est pas français, Xavier Dolan, ostie ! Il est québécois. Le troisième canadien de la Compétition avec Egoyan et Cronenberg, d’ailleurs. Son cinquième film à 25 ans, et déjà en lice pour une Palme d’or, ça fait réfléchir, non ?
«Mmm… pas vraiment. Donc c’est le biopic de Saint Laurent par Bertrand Bonello, le best of the best ?»
Ne parle pas anglais, ça te va mal, homie… J’aurais du mal à dire s’il était meilleur que ses petits camarades hexagonaux, en revanche, ça aurait plus de sens de le comparer à l’autre «Saint Laurent», celui de Jalil Lespert sorti en début d’année. Ça, c’est un vrai débat.
« Et Timbuktu, tu l’as vu ?»
Ce que je peux te dire, c’est que Thierry Frémaux l’avait oublié dans son annonce des films de la Compétition lors de la conférence de presse. Voilà, je tenais à le rappeler. Et tu peux en tirer les conclusions que tu veux. Je me comprends. Suis mon regard. Je dis ça, je dis rien. No comment. CQFD.
«Merci, une fois encore, de partager autant. Bon. Oserais-je te demander ton avis sur Still the water de Naomi Kawase ?»
Alors là, non, tu le connais mon avis, je te l’ai déjà donné en avril. Ou en janvier dernier, peut-être. J’avais dit les choses clairement : Kawase a reçu la Caméra d’or avec Moe no Suzaku (1997), puis le Grand Prix avec La forêt de Mogari (2008) et, là, elle revient en Compétition avec une histoire de cadavre flottant qui bouleverse une communauté l’année où la créatrice de Top of the Lake est Présidente du jury… donc hum, j’avais parié 55 000 € sur Unibet qu’elle allait remporter la Palme d’or. A toi de me dire si j’ai eu raison…
«Donc, pour toi, la Palme, ça ne pouvait pas être Le Meraviglie d’Alice Rohrwacher ?»
Ca se prononce « Rohrwacher ». Apprends déjà à prononcer son nom, ensuite on parlera de son film.
« J’y penserai. Et Andreï Zviaguintsev ? Tu vas me reprendre sur son nom ?»
Ah non, là, c’était impeccable, je suis bluffé. De Zviaguintsev, j’avais trouvé pas mal son Vozvrashchenie en 2003, puis j’avais loupé Izgnanie en 2007 et enfin vraiment détesté Elena en 2011. Mais ce que j’aime le plus de lui, c’est évidemment l’épisode qu’il a écrit et réalisé pour la série Chyornaya Komnata en 2000. C’était une série télé avec Aleksandr Porokhovshchikov, qui est connu comme acteur bien sûr, mais qui était aussi le réalisateur de Tsenzuru k pamyati ne dopuskayu en 1992. Mais ça, peu de gens le savent.
«Personnellement, je n’aime pas du tout Tsenzuru k pamyati ne dopuskayu, mais passons. Tu as vu Mr. Turner de Mike Leigh ?»
Aucun souvenir. Je l’ai vu oui, mais je ne m’en souviens pas assez pour te donner mon avis. Désolé hein, ça m’aurait fait plaisir de partager mes sentiments sur ce film avec toi, tu t’en doutes. Le problème, c’est que je l’ai vu en projo secrète avant Cannes. Ça devait être en fin avril ou en novembre dernier, je ne sais plus exactement.
«Et Foxcatcher de Bennett Miller, tu l’as vu quand ? Après ou avant l’élection de Pompidou ?»
Bon, déjà, sur un autre ton, s’il te plait. Cette année, on n’en est pas encore venus aux mains, mais fais attention à toi. Bon, en l’occurrence, je l’ai pas vu. Au même moment, au Marché du film, passait Sharktochinchilla vs Marmouset-saurus. Cannes, c’est toujours une question de priorité.
«Je comprends… Et pour finir : The Homesman ?»
The quoi ? Homesman ? Euh… Non, euh, désolé, il était pas à Cannes celui-là.
Aaaahhh… Attends, le Tommy Lee Jones ! Oui, je m’excuse, mais tu vois à Cannes, quand t’es festivalier, à Cannes, sur le festival, à courir à droite à gauche, pendant Cannes, ben t’es hyper busy. On n’a absolument pas le temps de retenir le nom des films, donc on dit « le » puis le nom du ou de la réal. C’est plus rapide. Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes. Mais viens avec moi l’année prochaine, ce sera plus clair pour toi. Tu verras, je connais plein de monde.
Le Festival de Cannes se déroule du 14 au 25 mai 2014.