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De Hustler white à L.A. zombie, Bruce LaBruce a toujours été aux avant-postes du cinéma underground ayant pour principal horizon la provocation extrême et expérimentale. Gerontophilia le révèle assagi sur la forme, même si un tel titre prouve qu’il se tient encore à bonne distance du consensus mou.
Il est bel et bien question de désir sexuel envers les vieux, tel que le ressent le héros adolescent Lake (Pier-Gabriel Lajoie, dans son premier rôle). La durée resserrée du film – 1h20 – tient au refus de considérer cette attraction et son accomplissement sous d’autres angles que celui de la seule félicité. Même lorsque ce coming out entraîne fatalement la rupture avec sa petite amie Désirée, qui n’a ni le bon âge ni le bon sexe, les choses se passent bien. Ne laissant aucune miette à l’égoïsme et à l’intolérance, la bonté et la tendresse occupent tout l’espace dans les rapports entre les personnages comme à l’échelle du film pris dans son ensemble. Toutes les étapes du parcours de Lake sont couvées du même regard délicat et protecteur par la mise en scène. Celle-ci progresse par courtes séquences d’une simplicité précieuse, et se montre invariablement et profondément aimante, qu’il s’agisse d’observer le réveil émotionnel de Lake, tel La Belle au Bois Dormant ; de le suivre alors qu’il s’enhardit et pousse plus avant ses expérimentations, tel Alice explorant le terrier du Lapin Blanc ; et de le contempler s’épanouir enfin entièrement dans cet univers parallèle et entièrement neuf à ses yeux, tel Dorothy au pays d’Oz. Gerontophilia est un conte de fée, radieux, sans secousses et sans retour final contraint à la réalité. Au contraire la féerie tire la réalité à elle, la force à se plier à ses conditions.
La plus belle preuve en est la manière dont LaBruce reboucle sa dernière scène sur la première, mais en y intégrant une inflexion discrète, qui change tout et nous fait quitter la salle avec le même sourire aux lèvres que son héros. Les choix musicaux pour accompagner l’ouverture et la conclusion du récit, soit respectivement The Horrors et Pulp, illustrent nettement la position dans laquelle le réalisateur a souhaité installer son film. Comme ces groupes, Gerontophilia est passionné, singulier, mais garde à cœur de tendre la main au public plutôt que d’instaurer un rapport de confrontation à son encontre. C’est un film qui nous veut profondément du bien, du moment que l’on n’appartient pas à la caste honnie tant par les cinéastes que par les groupes de rock défendant un esprit résolument indépendant. C’est à eux seuls, les gardiens du temple figé de « La Norme », que Bruce LaBruce assène sa provocation frontale et ses uppercuts rageurs. Lesquels prennent d’autant plus de poids qu’en filmant des amours entre jeunes de 20 ans et vieux de 80, le cinéaste se retourne contre cette génération de cinquantenaires dominants à laquelle il appartient désormais de par son âge. Dans le monde réel elle est aux commandes et fait sa loi, mais dans Gerontophilia elle se voit ouvertement évincée du tableau, réduite à faire de la figuration sous des traits repoussants (ceux de la mère de Lake, essentiellement). Le coup de poignard de LaBruce est doux, mais fatal.
GERONTOPHILIA (Canada, 2013), un film de Bruce LaBruce, avec Pier-Gabriel Lajoie, Walter Borden, Katie Boland. Durée : 82 min. Sortie en France le 26 mars 2014.