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La question avec les films iraniens n’est malheureusement pas de savoir de quoi ils vont parler, mais s’ils vont le faire puissamment ou maladroitement. Bending the rules démarre dans un camp, et finit dans l’autre.
Bending the rules est un film iranien. Il parle donc de privation de liberté et des stratégies que les individus mettent en place pour tenter de se reconstituer une marge de manœuvre. Cette relation directe entre la nationalité et le sujet du film est malheureusement devenue quasiment incontournable pour tout ce qui nous vient de l’Iran, tant ses cinéastes souffrent eux-mêmes au quotidien des entraves et de la censure décrétées par les autorités. Dans ces conditions, la valeur d’un long métrage se mesure à l’aune de la faculté du réalisateur à se muer en judoka, et à retourner la prise du pouvoir contre lui-même. Le mètre-étalon récent de cette façon contrainte de faire du cinéma est le bouleversant Ceci n’est pas un film, de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb. Pendant un temps, Bending the rules semble en mesure d’évoluer au même haut niveau. Mais, dès lors qu’il s’astreindra à une assignation à résidence comparable à celle imposée de l’extérieur à Ceci n’est pas un film, il ne tiendra plus aussi bien la comparaison.
Bending the rules nous place aux côtés d’une troupe de théâtre s’apprêtant à partir présenter une pièce hors du pays. Tous les jeunes membres du groupe ont dû ruser vis-à-vis de leurs parents pour obtenir leur assentiment ou au moins neutraliser leur méfiance. Seule Shahrzad s’est montrée honnête, et elle seule voit son voyage encore compromis à la veille du départ – son père lui a soustrait son passeport. Le premier acte du récit observe la déflagration de cette bombe (Shahrzad est l’interprète principale, pas question de partir sans elle) et l’enchaînement de réactions qu’elle provoque, où la virulence laisse peu à peu place à la violence. Les deux camps tentent d’abord de résoudre le conflit par la négociation puis, leurs exigences respectives étant inconciliables, en viennent aux coups, au vol et enfin à la contrainte et au chantage. Tout au long de cette escalade, le film est porté par un très bel élan, né de l’énergie émancipatrice qui habite ses jeunes héros. On la ressent d’entrée de jeu, dès le générique malicieux (composé à partir des sacs que les personnages préparent pour le voyage) et le premier plan-séquence, qui commence par confondre la pièce de théâtre et le film avant de nous révéler l’intégralité de la situation, du décor et des protagonistes.
Jusqu’au bout Behnam Behzadi travaillera presque exclusivement par de telles longues prises couvrant l’ensemble d’une scène, ce qui est à double tranchant. Tant qu’il y a de l’action, ce parti pris de mise en scène en décuple la force, principalement dans les ruptures : quand la conversation de plus en plus tendue entre Shahrzad et son père tourne à la rixe avec l’ensemble du groupe, plus tard lorsqu’un cambriolage doit être interrompu en catastrophe. Mais vient un moment où le récit se heurte à un mur – dont la menace planait depuis le départ. Bending the rules est, comme ses héros, dans l’incapacité de quitter l’Iran. Et il en souffre autant qu’eux, son ardeur étant stoppée net, ses aspirations muselées. Il se retrouve à tourner en rond comme un animal en cage dès lors qu’il rejoint son premier décor, une maison dont on ne ressortira plus. Le dispositif en plans-séquences se fait alors pesant. Il ne fait plus rien d’autre que souligner à gros traits et de façon stérile l’impuissance des personnages, en enregistrant leurs discussions répétitives, dénuées d’idées et d’allant. Behzadi n’a pas trouvé la manière d’écrire et de filmer qui aurait conféré à cette seconde partie une intensité comparable à celle du début. C’est dommage, car la conclusion à laquelle elle mène (tout le monde, oppresseurs comme opprimés, perd, et très gros) a cette puissance.
BENDING THE RULES (Iran, 2013), un film de Behnam Behzadi. Avec Neda Jebraeeli, Amir Jafari, Ashkan Khatibi, Mehrdad Sedighian, Baharan Bani Ahmadi. Durée : 94 min. Sortie en France indéterminée.