La Grèce, du rire aux larmes
Le focus du FIFIB sur le cinéma grec actuel offre l’occasion de découvrir ou de revenir sur deux longs-métrages de son fer de lance, Yorgos Lanthimos : Canine et Alps. Deux films réussis dessinant un portrait détonant de le famille où l’absurde le dispute au malsain, et à travers lui, de la Grèce et de son histoire la moins glorieuse.
« L’humour est très particulier, et dépend de la façon dont les spectateurs perçoivent le film. Parfois, le public n’ose pas rire, et il suffit d’une seule personne pour entraîner le reste de la salle ». Face aux films de Yorgos Lanthimos, le rire n’est pas spontané mais nerveux, puisque l’humour noir surgit au cœur de situations sérieuses.
Le même processus est utilisé pour le comique et la violence dans le cinéma de Lanthimos. La gravité d’une scène est soudain perturbée, un suspens s’installe, mais les secondes s’écoulent et rien ne se passe, la tension redescend. Puis comme un coup de massue, la violence survient, menant à tout, sauf à ce à quoi l’on s’attendait.
En plus de surprendre, les accès de violence de l’agresseur, qui est aussi l’oppresseur, sont injustifiés. Celui-ci a le pouvoir, et il en abuse pour violenter les plus faibles, les sans-défense, les soumis. C’est une manière de les garder sous son joug. Les bruitages des coups portés sur les personnages sont inhabituellement forts. Ils cassent le silence qui régnait jusque là, puis qui revient ensuite, lourd. Et c’est ce contraste qui rend la violence d’autant plus choquante et intense.
Justine Vinel
Lanthimos se sert de la famille comme métaphore de la dictature. Il affirme se servir de cette métaphore pour « explorer la perception que les hommes ont du monde » : « La famille est le principal système avec lequel on évolue. Ce qui se passe dans une famille peut se passer de la même manière dans un pays ». Le cinéaste montre toujours l’emprise d’un homme sur un groupe d’individus et place une famille sous un régime totalitaire : aucun accès au monde extérieur, déformation du langage, corruption des sens. Comme le dit le réalisateur, « cela fait partie d’un système consistant à couper les gens du monde. La base, dans ce cas, est de changer la langue ». Les libertés individuelles et fondamentales sont inexistantes. « Le chef change la perception de ses sujets pour consolider le système dictatorial » déclare Yorgos Lanthimos. L’idée de contestation ne vient même pas à l’esprit des personnages qui sont sous l’emprise d’un oppresseur. Isolés du reste de la société, élevés dans la crainte de l’extérieur, ils se retrouvent enfermés dans une sorte de capsule-temps. Dans Canine par exemple, tout fonctionne comme si le système dictatorial, tombé depuis plus de trente ans en Grèce, perdurait dans cette maison.
Le tyran impose à ses pions des règles du jeu. Si ces règles ne sont pas respectées, les pions sont impitoyablement éliminés.
Helena Pokorny