Que retient-on du film d’Abdellatif Kechiche quand on a dix-sept ans comme sa protagoniste ? Quatre de nos lycéens accrédités ont choisi quatre scènes importantes à leurs yeux et autant de mots-clés : la drague simple et belle à bord d’un bus, l’amitié à l’épreuve des premiers émois, la sensualité sous toutes ses formes, la rupture brutale et dévastatrice, une nuit.

 

#drague

LA VIE D'ADELE d'Abdellatif Kechiche

Adèle prend place dans le bus. Thomas lui demande s’il peut s’assoir à coté d’elle. S’ensuit une scène de séduction typique de la vie d’un adolescent. Ca commence par quelques phrases d’approche un peu maladroites : poser des questions un peu banales, trouver des sujets de conversation… Pourtant la gêne finit par s’estomper. Il a un groupe de musique, elle écoute de tout. Des petites blagues s’échangent et cela continue jusqu’à ce qu’Adèle lâche : « Tu pourras me faire écouter ? ». « Si je dois te faire écouter, c’est qu’on est amenés à se revoir… » . Une première rencontre naturelle et spontanée, le début d’une affection, et une héroïne un peu rêveuse, le tout filmé avec tendresse et délicatesse.

Antoine  Visconti

 

#amitié

LA VIE D'ADELE d'Abdellatif KechicheLes relations sociales occupent une place importante dans La Vie d’Adèle. Il est question d’éducation amoureuse et sexuelle d’une jeune fille devenant femme, mais également de ses expériences amicales.

Celles-ci se révèlent parfois éprouvantes, notamment lorsqu’Adèle revient au lycée après avoir été vue, la veille, accompagnée d’Emma, jeune femme étrange à la chevelure bleue.

Adèle ne remarque pas immédiatement l’attitude froide de deux de ses amies, mais elle ne tarde pas à ressentir leur présence comme oppressante. Si auparavant elles l’ont poussée dans les bras d‘un garçon pour ensuite demander avec insistance les détails intimes de leur relation, à présent elles la harcèlent pour connaître la nature de ses rapports avec Emma.

Poussée à bout par une agressivité injustifiée et répétée, et écrasée par le poids de leurs accusations, Adèle perd ses moyens lorsque l’irrespect atteint son paroxysme.

Mais comment se justifier face à ces reproches inattendus et intrusifs ?

En déclenchant volontairement la fureur d’Adèle puis en la dénonçant comme violente, l’attitude de ses deux prétendues amies démontre que l’originalité peut susciter l’incompréhension et les dissensions, même chez les plus proches.

Ainsi, grâce à l’arrivée d‘Emma dans sa vie, Adèle gagne en clairvoyance personnelle et amoureuse, mais aussi amicale.

Lara  Baranowski

 

#sensualité

LA VIE D'ADELE d'Abdellatif KechicheAdèle est très sensuelle et attirante malgré elle. Elle ignore totalement qu’elle plaît, qu’elle possède un charme érotique, charnel. Sa sensualité s’impose avec force. Elle est d’une importance capitale pour comprendre ce que vivra le personnage par la suite.

Voir La Vie d’Adèle à l’âge d’Adèle nourrit un sentiment paradoxal.

La sexualité des jeunes est aujourd’hui précoce : il est fréquent qu’une jeune fille ait ses premiers émois à 17 ans, voire moins. Certains adultes s’en émeuvent encore, tandis que les adolescents, eux, trouvent ça normal. Mais même s’ils parlent de sexualité librement, il y a quelque chose de dérangeant à voir une jeune fille s’abandonner si facilement à la passion. Est-ce à cause de la différence d’âge entre les deux personnages ? Du fait qu’Adèle semble si jeune et qu’elle découvre, en même temps que sa sexualité, son attirance pour les autres femmes ? Serions-nous dérangés par cette homosexualité, nous qui nous revendiquons si tolérants ? A bien y réfléchir, on se dit que l’on n’aurait pas réagi différemment si Emma avait été un homme, mais qu’avoir deux femmes rend tout plus doux, notamment les longues scènes de sexe. Adèle a 17 ans, et elle fait l’amour parce qu’elle est gourmande, et qu’elle en veut toujours plus. Il faut la voir dévorer ses pâtes bolognaises, contempler les plans délibérément longs sur sa bouche si particulière. La passion qui rythme sa vie n’en devient que plus évidente.

Ce n’est pas forcément choquant, mais gênant. Cette sensualité est tout d’abord acceptée, puis elle en vient à déranger parce qu’on se sent intrus, à être ainsi spectateur de leur intimité. La dernière scène érotique provoque un embarras audible chez le jeune public, lui qui accueillait en silence les premières étreintes.

Justine Vinel

 

 

#rupture

LA VIE D'ADELE d'Abdellatif KechicheIl est tard. Adèle rentre d’une soirée entre amis. Emma l’attend dans l’entrée, le regard noir et le visage froid. Elle sait qu’Adèle l’a trompée. La tension entre les deux personnages est palpable. Adèle se défend et nie les faits. Emma, très irritée, se met à l’injurier. Adèle finit par avouer. A la fin, son corps la lâche. Elle éclate en larmes, perd tout contrôle et supplie Emma de ne pas la rejeter. Face à la cruauté de la scène et à la dureté des propos, notre effarement demeure.

Cette séquence illustre pleinement le naturel du film. Les actrices semblent avoir totalement fait abstraction de la caméra. C’est la fin de leur relation, la fin de l’existence d’Adèle. Le temps est suspendu, l’atmosphère est violente et tendue, les portes claquent, le ton monte à tel point qu’Emma ose frapper Adèle. Cette brutalité rend bouche bée tant elle contraste avec la tendresse excessive entre les deux femmes jusqu’ici.

Voir La vie d’Adèle à l’âge d’Adèle, c’est comprendre cet excès de sensibilité, de larmes et de naïveté, mais aussi cette recherche de soi. Apres leur séparation, notre gorge est nouée, nos yeux rougis, et notre esprit bouleversé. C’est pour Adèle la fin de son premier amour. Jeune et anéantie, tout lui semble dépeuplé.

Helena Pokorny