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Un pauvre milanais change chaque jour de métier, et s’entiche d’une petite bibliothécaire perdue tout en soutenant son fils, perdu lui aussi. Un portrait réactionnaire de l’ouvrier en héros, comme il ne devrait plus en exister.
L’Intrepido s’ouvre sur un carton stipulant que l’action se passe « de nos jours », « questi tempi », à Milan. C’est louche. Pourquoi préciser ? La réponse arrive très vite : parce que le film semble d’un autre âge. Son héros, Antoine Pain – enfin, « Antonio Pane », ce qui ne change pas grand-chose – est un brave travailleur qui, chaque matin, change de métier. Disons qu’il s’agit en fait de l’ouvrier total. On le voit sur un chantier, au volant d’un tram, en train de nourrir une vieille, de promener un enfant, il distribue le courrier, répare les voitures, – et ne se plaint jamais. Son gros nez descend bas sur son visage, son air bonhomme se fend régulièrement d’un sourire qui fait briller ses yeux tristes et ses cernes comme des médailles, sous un crâne chauve entouré d’une bande de cheveux noirs qu’on dirait piquée à Berlusconi. Antoine Pain a un grand fils, à qui il déclare son amour en riant, à la lumière d’un abat-jour, malgré les factures et la fatigue. Fiston est artiste, et Antoine Pain se sent un peu fruste, s’étouffe de honte de n’être qu’un manuel, tandis que le film, lui, s’en étouffe de fierté.
Gianni Amelio ne se donne même pas la peine de débarrasser de tels clichés de leur rouille paternaliste, machiste et raciste. Monsieur Pain est un héros silencieux : même son fils ne lui arrive pas à la cheville. Lorsque ce dernier ne parvient pas à assurer son concert de saxophone, c’est (coup de théâtre final !) Antoine Pain qui s’en occupe, car le fils, l’intellectuel, n’est rien sans son brave papa, qui a appris la musique à l’oreille. Les femmes ne valent pas mieux. Il y en a deux. La première est une jolie femme perdue, que les 48 balais et le gros ventre d’Antoine séduisent en un clin d’œil. Elle fume, il la supplie d’arrêter. Il est son père, son amant, son modèle. Mais L’intrepido, ce n’est pas L’intrepida : la jeune femme se suicide. Non, ce monde-là n’est pas pour les gonzesses. L’autre personnage féminin, c’est l’ex-femme, la traîtresse qui a abandonné Antoine Pain et son fils pour se remarier avec un bellâtre si antipathique qu’il ne peut que l’avoir achetée, elle qui avait pourtant fait le bon choix de l’ouvrier avant de se laisser rattraper par sa nature de femme, forcément vénale. Un soir où Antoine vend des roses, il tombe sur elle, et c’est parti pour cinq minutes de regrets infâmes, de « viens manger / non j’ai pas faim », et de survalorisation répugnante de l’homme intrépide face à la femme veule.
Le portrait ne serait pas parfait si Antoine Pain n’était pas aussi glorifié en tant qu’Italien de souche. Le voilà qui se moque du nom d’un écrivain égyptien, dans une bibliothèque : la scène est censée souligner, pour le rendre attendrissant, son manque d’éducation. Elle annonce surtout une autre scène, clairement gênante, qui se déroule peu après dans une décharge. Pain, qui travaille sur une voiture, a soudain besoin d’aide. Il crie, plein cadre, face caméra. Personne ne répond. Pourquoi ? Le film a bien sa petite idée, il suffisait de bien regarder le début du plan, sur les autres ouvriers : tous des Noirs. C’est ce qui se fait de pire en matière de propagande, ce n’est même pas bien filmé, et c’est en compétition à la 70e Mostra de Venise. « De nos jours », malheureusement…
L’INTREPIDO (Italie, 2013), un film de Gianni Amalio, avec Antonio Albanese, Sandra Ceccarelli… Durée : 104 minutes. Sortie en France indéterminée.