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Julian, américain vivant en Thaïlande, hésite à venger la mort de son salaud de frère. L’arrivée de sa mère, glaciale et impitoyable, complique encore les choses… Après Drive, récompensé par le Prix de la mise en scène en 2011, Nicolas Winding Refn retrouve Ryan Gosling : son nouveau personnage part en voyage, non pas en Asie, mais dans les méandres de son propre esprit.
L’exposition est un enchainement pressé de saynètes : un touriste américain en Thaïlande est assassiné par le père de l’adolescente qu’il a violée et tuée ; Julian (Ryan Gosling), le frère du meurtrier, décide de laisser s’enfuir le parent meurtri ; le policier qui a autorisé cette vengeance personnelle (Vithaya Pansringarm) est pris en chasse par la famille de Julian. Seulement Julian, lui, ne compte non seulement pas venger la mort de son frère, mais semble même moins traquer le policier pour le tuer que pour être jugé voire puni par ses soins. La scène qui montre Julian le poursuivre dans la rue, plutôt que l’inverse, en témoigne. Une fois débarrassée de cette installation, quasi muette, Refn impose une séquence-programme. Le genre de séquence qui résume le film à elle seule, et qui ne peut que conforter ses détracteurs dans l’idée déjà répandue que Only God Forgives est « creux », « vain », « minimaliste », etc. C’est pourtant un bon point, une preuve de la capacité de Refn à s’en tenir à une poignée d’idées et de motifs, qu’il concentre sur certaines plages de son récit ou étire sur d’autres.
La séquence en question débute par un plan rapproché sur les mains de Julian, sous un robinet, qui les emplit de sang plutôt que de les laver. Un symbole explicite qui n’indique pas qu’il ait tué qui que ce soit (il vient de laisser s’enfuir sa proie), le sang persistant serait plutôt celui de la fillette assassinée par son frère. Julian culpabilise, fichus liens du sang. Au plan suivant, il est cadré dans l’embrasure d’une porte, son visage coincé entre deux murs rouges. Ces murs, ce sont ceux d’un hôtel, représentation mentale de son errance, de son dilemme, de ses peurs. Dans cet espace, dont les murs dessinent des démons, successions de tapisseries rouges et nervurées (oui, il s’agit bien d’un cerveau), chaque pièce abrite un souvenir, un refoulé, une inquiétude qui assaille Julian. Le policier, armé d’un grand sabre, lui apparait au détour d’un couloir dès cette séquence. Sa mère, celle qui voudrait qu’il ressemble à son frère, à qui elle trouve « de bonnes raisons » d’avoir violé une adolescente de 14 ans, l’attend dans une autre chambre. Dans la pénombre, sa robe se confond presque avec les murs. Elle est ancrée dans l’esprit de Julian, nous dit Refn. Le motif de son vêtement, une fleur pourpre, se retrouve d’ailleurs plus tard, agrandi sur un mur quand Julian cherche à convaincre une jeune femme de se faire passer pour sa fiancée auprès de sa mère. Elle ne le quitte donc jamais. Par sa faute, Julian est incapable d’assumer sa part de masculinité. Éprouver du désir, s’offrir à une femme, ne pourraient qu’être les premiers pas qui le rapprocheraient de ce qu’il redoute plus que tout : ressembler à son frère, et satisfaire les désirs machistes de sa mère. Alors, Julian se fait ligoter pour ne pas bondir sur une femme quand elle se dénude et se touche pour lui. La regarder est déjà trop dur : il repart d’emblée dans son refuge mental, fantasme sur le sabre du policier qui l’empêcherait définitivement de se servir de ses mains obscènes. Il visualise même la jeune femme rhabillée, elle le dévisage, elle le juge. L’ensemble du film fonctionne sur ce principe : la frontière entre réalité et introspection est parfois invisible, un simple contre-champ suffit à s’échapper, basculement soudain dans l’imaginaire de Julian. Tous les personnages qui gravitent autour de lui semblent ainsi connectés, comme s’ils pouvaient communiquer avec lui par la pensée, empruntant des chemins intérieurs. Auraient-ils un don, une sorte de « shining » ? Ou vivent-ils tous dans l’esprit de Julian ?
Plus généralement, il est temps de s’interroger. Le spectateur était-il en droit d’attendre autre chose d’Only God Forgives que cet exercice de style, minimaliste, introspectif ? Refn se devait-il de tourner un Drive bis ? Devait-il se fendre d’un film d’action ? D’un film tourné en Thaïlande avec plus de scènes en extérieur que de déambulations entre quatre murs ?
Refn ne peut ignorer la frustrations de certains, mais il est resté fidèle à son envie. Le film est plus petit que la précédent, a coûté moins cher, n’est bien « qu’une » coproduction européenne et n’a rien d’un défilé de stars mondialement connues. Au-delà même des scènes d’action et des accès de violences, souvent hors-champs, ou tapis dans les ellipses, Only God Forgives refuse catégoriquement le spectaculaire. Il y parvient sans être froid ou ennuyeux pour autant, il est seulement suggestif et cérébral. S’il existait une demande – formulée tacitement par ses fans (en particulier, ceux acquis en 2012) – Nicolas Winding Refn l’a rejetée. En cela, le film est à l’image de Julian : il inverse la commande qu’on lui passe. Pas question de céder à la facilité, pas question de tomber dans l’excès, pas question de satisfaire ceux qui décident de ce qui est bon pour vous et de ce qui ne l’est pas. Quitte à perdre quelques proches.
ONLY GOD FORGIVES (Danemark-France, 2013), un film de Nicolas Winding Refn, avec Ryan Gosling, Kristin Scott-Thomas, Vithaya Pansringarm. Durée : 90 min. Sortie en France le 22 mai 2013.