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Thierry Frémaux l’avait annoncé lors de la conférence de presse de Cannes 2012, où il était sélectionné : Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul est un petit film, juste de quoi patienter en attendant la nouvelle fiction d’envergure qui succédera à sa Palme d’or, Oncle Boonmee (2010). Un objet néanmoins intéressant pour le regard qu’il pose sur le hors-champ : son nouveau terreau de la terreur.
Au sein de la filmographie de Weerasethakul, ce tout juste long-métrage (61 minutes) serait à ranger du côté de ses installations vidéos plutôt que de ses fictions destinées au grand écran. Plus narratif que Phantoms of Nabua et les quelques autres courts tournés pour son exposition Primitive (2009), œuvre qui préfigurait les thèmes d’Oncle Boonmee, Mekong Hotel n’en reste pas moins un bel objet de réflexion sur l’espace et ses limites. Weerasethakul se borne au décor unique et naturel de l’hôtel du titre comme s’il s’agissait d’une contrainte imposée par une commande ; dans la foulée, il aura d’ailleurs tourné un court-métrage en hommage à Jean-Jacques Rousseau dans ce même lieu, cette fois-ci pour une commande réelle d’une chaîne de télévision suisse.
Vers le début de Mekong Hotel, deux jeunes thaïlandais, Phon et Tong, discutent face au fleuve qui longe leur pays. Phon mentionne un sms que lui aurait envoyé le jeune homme quelques heures plus tôt. Elle est persuadée qu’il en est l’auteur car «il n’y a personne d’autre ici », affirme-t-elle. A la fin de la scène, comme le faisait déjà l’un des personnage de Syndromes & a century (2006), les deux acteurs se retournent et regardent fixement la caméra. Une apostrophe silencieuse, et deux grands sourires, qui ne créent aucun trouble chez le spectateur caché dans le contre-champ, puisqu’il n’est pas censé être là ; « il n’y a personne d’autre ici ». Weerasethakul impose tant qu’il le peut l’idée que les limites de ses cadres soient les limites du monde. Un autre monde est parfois mentionné dans les dialogues. Cet autre espace, aucun des personnages du film ne souhaite s’y rendre : inondations, souvenirs d’affrontements avec le Laos et relents de guerre civile emplissent ce hors-champ du Mekong Hotel.
La simple évocation de ces troubles vaut à la tante Jen d’être immédiatement reléguée hors du cadre, celui-ci n’abritant plus que les réactions de ses interlocuteurs Phon et Tong. Un reportage télévisé évoque, lui aussi, les drames de l’autre monde mais il est tout autant repoussé hors-cadre. Le dernier plan du film résume idéalement ce principe : quatre jet-skis fusent sur le Mékong pour autant de personnages-clés du récit ; ils se croisent, encore et encore, mais quand ils quittent le champ, Weerasethakul les réintègre sans délai. Même si des fantômes dévorent les viscères des pensionnaires du Mekong Hotel, le cinéaste ne peut s’empêcher de les ressusciter dès le plan suivant. Car son monde est accueillant, et fait office de dernier havre de paix quand la terreur a envahit tout ce qui l’entoure. Jen, Phon et Tong y séjourneront certainement pour toujours.
MEKONG HOTEL (Thaïlande, Royaume-Uni, 2012), un film d’Apichatpong Weerasethakul, avec Jenjira Pongpas, Maiyatan Techaparn, Chai Bhatana, Chatchai Suban. Durée : 61 min. Diffusé sur Arte. Sortie en France indéterminée.
Retrouvez ici notre entretien avec Apichatpong Weerasethkul : « J’aimerais cultiver des avocats ».