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Espéré à Cannes ou Venise en 2012, le nouveau film de Laurent Cantet, quatre ans après sa Palme d’or Entre les murs, sort avec plus de discrétion qu’escompté, après des sélections à Toronto et San Sebastian. Le résultat est-il à la hauteur de l’attente ? Oui. Lui est-il conforme ? Non, car Foxfire a muté du pamphlet féministe annoncé vers une surprenante complainte communiste.
Elles sont cinq, puis sept, bientôt une douzaine. Un groupe d’adolescentes rebelles, en rogne contre la gente masculine qui les exploite, les rabaisse, les maltraite. Le gang s’appelle Foxfire, et leur crédo est la vengeance, coup pour coup. L’une d’elles, Maddy, répertorie leurs exactions, pour la postérité. L’ombre du controversé SCUM manifesto de Valerie Solanas plane sur ses écrits ; encore mesurés, voués à se radicaliser ? Finalement, le Manifeste de référence pour Foxfire sera plutôt celui de Marx et Engels.
Ce basculement, Cantet l’explicite par la proportion d’âmes masculines condamnables à l’écran. Il inquiète presque, un temps, à trop en faire : à filmer sans relâche les actes vils des hommes, comme si le défouloir de la vengeance féminine devait se mesurer à l’aune d’un nombre vertigineux de mauvaises actions de professeurs injustes, d’oncles libidineux, de pervers épars. Ça et là, surgissent dans le champ de rares hommes respectables. Seul l’un d’eux s’affiche plein cadre : un prêtre, communiste, révolutionnaire, échoué sur le rivage d’une Amérique des années 1950 capitaliste et puritaine. Une figure isolée, qui l’est tout autant dans le panorama de pensées contraires qui régit Foxfire. Legs, la jeune fille qui initie le mouvement de rébellion donnant son titre au film, est la seule à épouser pleinement son idéologie. Mais Cantet reste discret sur ce point, pendant la première partie du récit. Son film conte alors l’émancipation puis la lutte d’un groupuscule féministe en friche. C’est lorsque les jeunes femmes achèvent leur indépendance et achètent une vieille ferme que la lutte des sexes se mue en lutte des classes.
La vie en communauté n’est fonctionnelle que l’espace de quelques semaines. L’équilibre, précaire depuis l’emménagement, vacille lorsque l’argent devient la réponse à leurs besoins. Conséquence directe : le discours initial du prêtre, tronqué, scindé en deux parties comme pour voiler ses tenants et aboutissants, revient en rêve à Legs. La teneur politique de ses propos aura mis ce temps à germer dans l’esprit de l’adolescente, et tout autant dans celui du spectateur. Et si lui n’entrevoit que des flashs (l’homme, sa mort annoncée, un tank dans sa ligne de mire), Legs l’aura bien entendu toute la nuit. Au réveil, c’est l’éveil des consciences. Par cette séquence, Foxfire – le film autant que le mouvement idéologique qu’il évoque – change de cap et ce, définitivement.
Les pensionnaires étant pour certaines trop jeunes, le cumul des jobs ne peut suffire à subvenir aux besoins matériels du gang, et moins encore à payer loyer et nourriture quotidienne. Legs refuse d’enrôler de nouveaux membres selon leur potentielle contribution financière à Foxfire. Elle refuse de se trahir idéologiquement et de faire de leur communauté un microcosme fondé sur les valeurs capitalistes qu’elle, du moins, combat ; il lui devient, dès lors, nécessaire de se servir dans la poche des bourgeois qui, eux, pillent le prolétariat. La maison dans laquelle vit Foxfire convoque une certaine pensée de la société utopiste communiste, celle de propriété commune. Une scène essentielle voit l’une des dernières arrivantes, VV, rappeler à ses colocataires et plus encore à Legs, la chef historique du groupe, qu’il ne saurait être question d’une hiérarchisation des actions, des paroles, des décisions au sein de la communauté. Émue, Legs, la prend dans ses bras : peut-être avait-elle oubliée elle-même, quelques jours, quelques semaines, cette donne élémentaire de la vie en priorité commune.
Un doute s’installe, dès lors, dans le regard que pose Cantet sur ce microcosme : représente-t-il seulement cette part, volontiers utopique, de la vie en société selon le dogme marxiste-engelien ? Ou bien, la ferme de Foxfire se veut-elle plus encore allégorie de la société communiste telle qu’elle fut généralement mise en œuvre au XXème siècle ? Cette seconde suggestion laisse à penser que l’effondrement de la communauté Foxfire est dû à l’hégémonie de la figure centrale de Legs, qu’elle soit consciente ou non, que sa main-mise sur le groupe ait été acquise de son fait ou imposée par ses camarades. Les deux perspectives sont aussi valables, et aussi intéressantes. Lors de l’avant-dernière séquence du film, l’image possiblement fantasmée de Legs aux côtés de Fidel Castro, vient toutefois étayer la thèse d’un discours sévère, à la fois implicite et prééminent, sur le contre-coup corollaire à toute application de la doctrine communiste : celui d’un leadership dévorant et fondamentalement cannibale.
Foxfire se referme sur une réminiscence de la rencontre initiale de Maddy et de Legs. C’est une boucle, peut-être un songe, et c’est une étreinte. La scène rappelle celle, elle aussi matricielle autant que terminale, de The Master (P. T Anderson, 2012). Entre les deux, était-ce un rêve, ou bien un cauchemar ? Deux visions d’une Amérique bicéphale, en tout cas. Dans The Master, Freddie s’endort, dans les bras d’un amour imaginaire. Dans Foxfire, l’étreinte est réelle mais la disparition des souvenirs, des idéaux, balayés d’un souffle court, se répète.
Le groupe Timber Timbre, lors du générique de fin, a le dernier mot : « Where are you going, where have you been ? ». Tant que quelqu’un pose la question, Legs et Maddy restent en vie.
FOXFIRE, CONFESSIONS D’UN GANG DE FILLES, un film de Laurent Cantet, avec Raven Adamson, Katie Coseni, Madeleine Bisson, Tamara Hope. Durée : 143 minutes. Sortie en France : le 2 janvier 2013.