COULEUR DE PEAU : MIEL de Jung et Boileau

L’histoire vraie de Jung, petit garçon coréen adopté par une famille belge au début des années 1970 : un film d’animation émouvant par endroits, mais victime de l’autocensure et des contradictions de ses auteurs.

Cette voix off fait tiquer. Ce n’est pas ce qu’elle dit qui cloche, c’est d’où elle vient. Jung, l’auteur du film, raconte son histoire, mais ce n’est pas sa voix. Ce sont bien ses mots, mais il est doublé. On le soupçonne simplement au début, la voix traitresse ayant déjà été entendue dans d’autres fictions. Peut-être Jung est-il un doubleur professionnel qui enfin s’exprimerait en son nom ? Pas du tout. Il est dessinateur de BD, support qui servait jusqu’ici le récit de son enfance. Acteur dans son propre rôle, on le voit se rendre en Corée du Sud, son pays natal, dans des séquences en prises de vues réelles. Il pose des questions à un interlocuteur hors-champ en possession des documents d’état civil qui pourraient lui donner des indications sur ses origines. Jung ne joue pas ou peu. C’est un moment documentaire. Pour la première fois, l’occasion lui est donnée d’en savoir plus sur ses origines oubliées et inconnues. Il pose des questions qu’il n’a jamais pu poser jusqu’ici… mais pas avec sa voix.

Connaître la raison de ce doublage n’apporterait rien. Seule compte la valeur symbolique du procédé, car ce dernier illustre parfaitement le défaut majeur de Couleur de peau : miel : l’esquive. Raconter soi-même son propre récit et à la première personne, mais sans sa voix. Mettre en scène des moments à charge (la mère adoptive de Jung fouette ses enfants les plus turbulents), mais en les délayant dans le comique (la mère fouettard court après son gosse comme dans un slapstick). Montrer des personnages durs ou malheureux, mais sans jamais les départir de leur sourire figé. Mais, mais, mais… toujours mais.

Couleur de peau : miel est un film bicéphale, duo de réalisateurs oblige, mais surtout bipolaire. Deux forces antagonistes se disputent, comme semble l’illustrer la charte graphique du film, de gracieux traits dessinés sur des personnages en 3D raides comme des piquets. On imagine derrière le film deux mains indépendantes : l’une libre, celle qui court sur le papier, et l’autre dont la seule occupation serait de lester sa sœur.

L’animation est devenue un bel outil d’évocation du passé (via la main, le corps se souvient de ce que l’esprit croit avoir oublié, c’est ce que comprend Jung – quel nom ! – dans le film) et même un séduisant instrument d’exorcisme ou de psychanalyse. Valse avec Bashir et Persépolis l’ont démontré en jouant chacun sur un aspect de l’autobiographie : d’un côté, la mise en scène de soi-même dans une approche documentaire ; de l’autre, l’attribution des rôles à de véritables personnages, selon des principes plus caractéristiques de la fiction. Couleur de peau : miel veut faire les deux. Pas par ambition, cela on ne le lui reprocherait pas, mais par peur. Voire par raison économique, ce dessin-animé se destinant plus clairement aux enfants. Il fait les deux, comme un comédien fou qui au lieu d’être simplement lui-même, préférerait croire qu’il joue en fait son propre rôle et ne se livre pas. Ou comme un auteur qui prendrait pour nom de plume son prénom, mais pas son nom de famille, ne revendiquant qu’une partie de ce qu’il est, occultant l’autre, pour ne laisser au spectateur que des esquisses de confessions. Couleur de peau : miel est en fait un brouillon.

COULEUR DE PEAU : MIEL (France/Belgique, 2012), un film de Jung et Laurent Boileau, avec les voix de William Coryn, Christelle Cornil, Jean-Luc Couchard, Arthur Dubois, Alayin Dubois. Durée : 75 min. Date de sortie en France : 6 juin 2012.

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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