Six bonnes raisons de passer du temps à la Quinzaine

Tout nouveau, tout beau : pour sa première sélection en tant que délégué général de la Quinzaine des Réalisateurs, Edouard Waintrop respecte l’adage et revendique un ensemble très prometteur. Mieux : il le vend bien. Pourquoi sommes-nous si excités par son programme ?

Parce qu’on va goleri, comme disent les jeunes.

Les films cannois ne se prêtent généralement pas à la gaudriole. Et lorsqu’ils le font, c’est à leur insu, comme les spectateurs de This Must Be The Place ou La source des femmes ont pu s’en rendre compte en 2011. Pour se détendre entre deux plans-séquences de 15 min consacrés à la culture du navet ou à l’agonie d’un âne en temps réel, il faudra fréquenter le rayon comédie de la Quinzaine, bien achalandé cette année.

Aucune raison de douter du caractère iconoclaste de l’ultime film du défunt Raoul Ruiz – qualifié de « ruizien » par Edouard Waintrop, c’est dire si c’est un film de Raoul Ruiz – La nuit d’en face. Aucune raison non plus a priori  de douter des bonnes intentions d’Opération Libertad de Nicolas Wadimoff, film suisse ancré dans les seventies et narrant les difficultés rencontrées par des terroristes du pays des neutres et du chocolat, pour faire comme leurs flamboyants confrères italiens.

Davantage de bienveillance encore pour le rire franco-français, celui que certains n’hésiteraient pas à qualifier de « vrai rire », avec Adieu Berthe : l’enterrement de mémé, de Bruno Podalydès (avec son frère Denis), et Camille redouble, de et avec Noémie Lvovsky (avec également Denis, le frère de). Le premier est déjà précédé d’une rumeur flatteuse. Le second s’appuie sur un pitch façon Peggy Sue s’est mariée, avec sa quadragénaire alcoolo et bientôt divorcée (Lvovsky dans le rôle titre), se réveillant un matin dans la peau de celle qu’elle était au lycée. Heureusement pour nous, la peau en question devrait rester celle de Noémie Lvovsky, ce qui pourrait valoir de savoureux contrastes entre ce corps de femme et ceux des ados qui l’entourent et qui la voient comme si elle était l’une des leurs. Camille redouble, c’est surtout la promesse d’un doux rêve : retrouver Noémie Lvovsky et Vincent Lacoste face-à-face, comme dans les plus belles scènes des Beaux gosses, en espérant – rêvons encore plus fort – que le second joue le petit ami de la première au temps de sa jeunesse.

Parce que Gondry.

Attention : pas Michel Gondry. Mitchell Gondraille, le réalisateur de Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Block Party et Le frelon vert, l’alter ego américain de ce que la France a produit de plus inventif et créatif en matière de metteur en scène. Gondry abandonne provisoirement le tournage de L’écume des jours pour présenter, en ouverture, The We and the I (« le nous et le jeu », « The We and The Eye », « le oui et le aïe » : ça aurait pu être le titre d’un Resnais). On nous promet un film « vif et allègre, joyeux même quand il aborde des thèmes durs », selon les mots de Waintrop, désireux de faire de Gondry l’étendard de la Quinzaine cette année.

The We and the I a été réalisé à New York – plus précisément dans le Bronx – au terme de deux années d’ateliers avec des étudiants, d’ailleurs co-auteurs du scénario. L’histoire ? Un bus scolaire ramène chez eux des lycéens après leur dernière journée d’études et se vide progressivement à chaque arrêt. Du coup, les relations entre eux évoluent en fonction des présences et des absences… Simple et fort. On sait ce que vous vous demandez : « pourquoi n’y ai-je pas pensé avant ? ». On se pose la même question.

Parce que Kubrick, même s’il est mort.

Room 237. Chambre 237. Celle dans laquelle les pensionnaires de l’hôtel Overlook ne doivent en aucun cas pénétrer. La pièce maudite donne son titre à un documentaire de Rodney Ascher, déjà présenté à Sundance, entièrement consacré à Shining. Il ne s’agit pas d’un making of – il y a déjà celui de Vivan Kubrick –, mais bien d’une lecture du film de Stanley Kubrick, abondamment illustrée de scènes prises à la source, puisque le projet a été financé par Warner Bros., le propriétaire de Shining. Il y sera question d’Hitchcock, de Resnais on l’espère (encore), et de beaucoup d’autres joyeusetés susceptibles de combler les cinéphiles. On sait ce que vous vous dîtes : « Redrum ».

Parce que ça va s’animer.

Deux fois, avec deux longs-métrages d’animation : Ernest et Célestine de Patar, Aubier et Renner, et The King of Pigs de Yeun Sang-ho. Le premier est l’adaptation d’une série devenue un standard de la littérature jeunesse. On y retrouve le gros ours musicien Ernest et la petite souris abandonnée Célestine, dans un univers beaucoup plus calme et doux que celui du furibard Panique au village de Patar et Aubier, et plus clairement destiné aux enfants. Le film sera d’ailleurs projeté le mercredi afin d’accueillir les scolaires cannois.

D’enfants il est également question dans The King of Pigs, mais sur un mode beaucoup plus violent. Au Festival de Busan, pour sa première mondiale, cette histoire de bizutage au collège a marqué les esprits, au point d’être présentée comme le signe précurseur d’une nouvelle ère, plus mature et cruelle, du cinéma d’animation coréen. L’un des chocs attendus de Cannes 2012.

Parce qu’on n’est pas couché.

La Quinzaine 2012 remporte déjà un prix : celui de la sélection du film le plus long, Gangs of Wasseypur, d’Anurag Kashyap, d’une durée totale de 5 h 20. Que les plus impatients se rassurent, le film sera projeté en deux parties successives de 2 h 40 chacune, afin de ménager un entracte… Cette saga s’étalant sur quarante ans croise deux veines du cinéma indien : le Bollywood et le Mumbai noir, un genre policier moins connu ici. Résultat : un film d’enquêtes menées sérieusement, ponctuées de chansons et saupoudrées d’humour, assure Edouard Waintrop. Il en faudra pour tenir.

Parce que la Chine s’éveillera.

Une adaptation des Liaisons dangereuses dans la Shanghai des années 1930 réalisée par un coréen, vous en rêviez ? Non ? Nous non plus, mais maintenant qu’on sait qu’elle existe, on veut la voir. Né à Cannes à la Semaine de la Critique en 1998 avec Christmas in August, Jin-ho Hur a tourné cette grosse production de 31 millions de dollars à Pékin, avec deux des plus fameuses actrices chinoises : Zhang Ziyi et Cecilia Cheung. Dangerous Liaisons, somptueux ou pompier ? Après Valmont, Les liaisons dangereuses et Sexe intentions, pour ne citer que les adaptations les plus récentes, le roman de Choderlos de Laclos offre encore d’affriolantes perspectives cinématographiques.

Retrouvez ici la sélection complète de la Quinzaine des Réalisateurs 2012

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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