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Présenté à Toronto en octobre dernier, puis film d’ouverture d’envergure de Gérardmer, Twixt confirme après L’homme sans âge (2007) et Tetro (2009) la liberté et la jeunesse retrouvées de Francis Ford Coppola. Généreux, affranchi et souverain, il profite de ces pleins pouvoirs pour disserter sur l’art, la création, la reproduction. En toute bienveillance.
Hall Baltimore (Val Kilmer), écrivain en manque d’inspiration, débarque à Anytown, USA, pour une séance de dédicace de son dernier roman. L’événement, mineur, mal organisé, a tout d’un faux prétexte. Quant à la ville, elle n’a finalement d’anodine que l’apparence. La bourgade se révèle rapidement riche en histoires étranges, au point de donner envie à l’auteur spécialisé dans l’épouvante d’y séjourner quelques temps. Coppola ne tarde pas à lâcher le morceau : le nom de Stephen King résonne dès les premiers dialogues échangés par Baltimore et son futur acolyte, le shérif LaGrange. Dans L’antre de la folie (1994), qui reposait sur des prémices semblables, John Carpenter s’évertuait à ne jamais prononcer le fameux patronyme, alter ego pourtant indéniable de son créateur et démiurge Sutter Cane. La discrétion était de mise pour mieux renforcer l’amalgame, le film naviguant entre citations et décalques. Coppola, lui, convoque King d’emblée, de même qu’il invite le fantôme de Poe dès la première virée nocturne et fantasmée de son protagoniste. L’enjeu de Twixt n’est pas de se draper de références, mais plutôt d’établir un réseau hiérarchique autour des notions de création, d’originalité et de copie. Face à sa machine à écrire, lorsque l’inspiration lui revient, Hall Baltimore opère un virage radical par rapport à sa thématique usuelle (des histoires de sorcières). Il braque mais pour mieux se lover dans l’univers le plus rebattu de la fiction depuis quelques années : il va raconter une énième histoire de vampires. L’auteur Coppola, par l’intermédiaire de Baltimore, suggère-t-il que la manière de raconter une histoire prime sur la singularité de la proposition ? C’est une piste. Si l’originalité n’existait plus, le constat ne serait pas forcément amer : la variété des traitements peut assurer le pérennité de la création en fiction. Coppola ne cherche pas ici à recycler les références, encore moins à apporter sa propre pierre à l’édifice : Twixt se veut simple monstration de ce type de filiations.
Pour ce faire, le double corpus choisi par Coppola est celui des films de suspense d’Alfred Hitchcock et ceux de l’un de ses admirateurs, William Castle. L’intérêt qu’il porte à leurs œuvres à travers Twixt se dévoile le soir venu. Durant ces séquences oniriques, Coppola désature ses nuits américaines jusqu’à lorgner vers le noir et blanc. Une couleur émerge immuablement : le rouge. Dans La maison du docteur Edwardes (1945), film sans couleurs, questionnant sans cesse lui aussi les songes et leurs significations, Hitchcock atteint le climax de son récit lorsque l’un des personnages se tire une balle dans la tête. Le coup de feu se pare d’un flash rouge, seule occurrence de couleur dans l’ensemble du film. En 1959, William Castle réalise Le désosseur de cadavres, thriller lui aussi en noir et blanc, qui reste notamment célèbre pour l’irruption comparable de deux flots de sangs colorisés au sein de ses cadres. Twixt répète ce motif, cette incursion sanglante, mais ne se référence pas plus à l’un que à l’autre, pas plus au modèle qu’à sa copie.
A gauche, La maison du docteur Edwardes (Spellbound, Alfred Hitchcock, 1945)
A droite, Le désosseur de cadavres (The Tingler, William Castle, 1959)
Twixt (Francis Ford Coppola, 2011)
Lors de nombreuses autres scènes de son dernier long, Coppola cite alternativement Hitchcock et Castle. L’utilisation de la 3D de façon épisodique, signalée au spectateur par des inserts l’invitant à utiliser ses lunettes, rappelle 13 fantômes de Castle (1960). L’une de ces scènes en relief se situe dans un clocher : Baltimore gravit l’escalier, pris de vertiges, et Sueurs froides (1958) s’ajoute à la liste. La résurgence de Psychose (1960) ne se fait pas attendre longtemps. Il faut voir Hall Baltimore avancer patiemment, dans une morgue, déplacer un rideau transparent, et s’approcher d’un cadavre à l’identité encore indéfinie. Le montage découpe sa marche pour mieux l’étirer, puis le protagoniste soulève le drap et dévoile le visage de la défunte. Un mouvement de recul le fait percuter une lampe, la lumière balaye son visage et créée une valse frénétique entre lueurs et ténèbres. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que ressurgisse le squelette de Madame Bates. Cette présence du hors-champ dans le champ, d’un Mal tapi à l’image et à l’insu du héros, animait Psychose. Elle se retrouvait aussi au cœur de son film jumeau, le remarquable Homicide, tourné par William Castle quelques mois plus tard. Le pastiche dentaire qu’arbore le personnage d’Elle Fanning dans Twixt s’impose en ultime résurgence de l’ensemble : il évoque grandement celui d’un personnage-clé d’Homicide. Coppola, lui, le fera littéralement exploser au visage de son héros.
Décidément, Twixt ne saurait avancer voilé. Le film expose constamment ses origines, comme il expose ses illusions : pour preuves, forcément ostentatoires, ses incrustations d’images de synthèse au sein d’un environnement en prise de vue réelle. Elles sont aussi belles qu’elles sont imparfaites. Si Coppola n’a jamais privilégié Hitchcock à Castle, le maître à l’élève, dans son flot de références, c’est probablement parce qu’il chérit autant l’un que l’autre. Qu’importent la justesse, la primeur, l’irréprochable. Hall Baltimore n’est pas Stephen King, et aucun des deux n’est Edgar Allan Poe, mais leur envie de partager et de créer suffit amplement à saluer leur travail. Un compliment qui s’applique à Coppola lui-même, même s’il s’avère réducteur dans son cas : avec Twixt, il se montre une fois encore conteur et faiseur d’images d’exception.
TWIXT (Etats-Unis, 2011), un film de Francis Ford Coppola, avec Val Kilmer, Elle Fanning, Bruce Dern, Ben Chaplin. Durée : 90 min. Sortie en France le 11 avril 2012.