LES ADIEUX À LA REINE de Benoît Jacquot

Revenu du Fond des bois, Benoît Jacquot s’attaque à la chronique historique de la désertion de Versailles à l’heure de la Révolution.  Cette fresque bouleversante à la mise en scène subtile fait l’ouverture de la 62e Berlinale. 

Nul doute que Benoît Jacquot sait filmer le corps féminin en mouvement, souvent torturé, mais aux failles perceptibles dans la mise en scène. Isild le Besco fut longtemps sa muse. Par cinq fois, il la dirigea comme actrice, en recherche d’un père hindou (L’intouchable) ou dernièrement  ensorcelée et ensorcelante face à un vagabond (Au fond des bois). Pour Les adieux à la Reine, Jacquot s’entoure d’une nuée de femmes magnétiques, comme on en avait plus vu depuis L’Apollonide. Si Diane Kruger joue une Marie-Antoinette inaccessible, c’est avant tout le minois de Léa Seydoux qui nous intéresse. Elle ne vit que dans le manque et l’espoir de reconnaissance. En liseuse officielle de la Reine, elle incarne à elle seule tout l’esprit de la cours d’Ancien  Régime, collée aux basques de la famille royale jusqu’à s’entasser dans la vétusté méconnue de Versailles. La famille Bourbon fuit Paris depuis le règne de Louis XIV. Elle se cloitre au château comme pour défier la ville de tous les dangers. « Paris n’est pas la France » clame Marie-Antoinette. Alors quand le 14 juillet 1789, la Bastille est prise et que le peuple crie famine, le temps de réaction de la cour est proportionnel à l’inertie latente de leur aveuglement.

Léa Seydoux joue la dévotion, ne rêve que de se faire aimer. Quand on est un sujet à Versailles, son rythme de vie s’adapte aux besoins de la famille royale. Benoît Jacquot filme le perpétuel mouvement de ce fourmillement de pots de colle, de ce grouillement de pies bavardes,  de ce grondement assourdissant de messes basses et de secrets de polichinelle.  Autour de Seydoux/ Sidonie, rode Madame Campan – Noémie Lvovsky comme toujours merveilleuse – qui par son phrasé brise la tenue corsetée des corps. En clair, Jacquot ne se complait pas dans l’académisme des films d’époque. Il trouve un ton unique dans les dialogues, entre déclamation à la Jacques Nolot et violence verbale plus directe (les servantes comme Lolita Chammah). Les adieux à la Reine est un film résolument moderne, pas encore révolutionnaire puisqu’elle n’a pas encore atteint les alcôves de Versailles. La rumeur que la fin est proche va court-circuiter le quotidien du château. La cour se vide, les serviteurs abandonnent le Roi. Sidonie, elle, n’a peur que d’une chose : ne plus revoir la Reine. L’état d’alerte est constant. Dans cette course contre la montre, Jacquot adopte une mise en scène mobile. La mouvance des cadres, souvent dos à Sidonie, illustre l’urgence des dernières heures.

Sauf quand il s’agit de faire face à la Reine. A ce moment, la bienséance reprend le dessus. Jacquot multiplie les détails historiques sur les comportements adéquats. On ne tourne pas le dos à son Altesse, le regard baissé, on quitte la pièce discrètement. Bref, on sert de rouage à sa journée. Dès lors, le cinéaste adopte des cadres posés, des champ-contrechamps plus classiques. Mais là où cela devient génial, c’est quand ces règles, bien qu’en vigueur jusqu’au bout, se retrouvent subtilement contournées au fur et à mesure. Sidonie va, par exemple, tourner le dos à la Reine sans que personne ne s’en aperçoive. Mais bien plus qu’une simple théorie des mécaniques d’époque, Les adieux à la Reine est une belle introspection chère au cinéma de Benoît Jacquot. Diane Kruger – pourtant peu présente à l’écran – irradie le film de son attraction omnisciente. L’intimité volée se mérite autant pour Sidonie que pour nous. Jacquot imagine, sur les bases du livre original de Chantal Thomas, l’amour fou que Marie-Antoinette pouvait aussi porter pour une femme : Gabrielle de Polignac, alias Virginie Ledoyen, délicieuse de pédanterie. Au milieu de l’univers féminin bien loin des sucreries de Sofia Coppola, deux hommes servent de rouages utiles. Nicolas Moreau, en vieux rat de bibliothèque, guide le spectateur de son savoir des évènements et des coutumes. Et puis le Roi lui-même, fantomatique ;  Xavier Beauvois incarne bien cet homme qui ne voulait pas être roi. « Le peuple demande le pouvoir. Quelle idée, moi qui ai toujours voulu le fuir ! » déplore-t-il. Aussi romanesques que déconnectées du monde, les dernières heures de Versailles se parent du crépusculaire style de Jacquot pour un sommet du film historique.

Les adieux à la Reine, de Benoît Jacquot, avec Diane Kruger, Léa Seydoux, Virginie Ledoyen. Durée : 100 min. Date de sortie française : 21 mars 2012

 

Alexandre Mathis
Alexandre Mathis

A chouchouté son blog Plan-c pendant plus de deux ans tout en parcourant le monde avec Typo. Désormais plombier pour Playlist Society. Accrédité à Accreds. Fils caché et raté de Malick et Miyazaki, il marche pieds nus en forêt. Sauf sur les orties, ça pique.

Articles: 10