A DANGEROUS METHOD de David Cronenberg
Jung vs Freud : David Cronenberg fait de la psychologie la matière même de A Dangerous Method. Difficile de ne pas regretter sa volonté de se limiter à une approche strictement littérale du sujet.
Longtemps obsédé par les mutations, David Cronenberg semble s’être décidé à devenir le cobaye de ses propres expérimentations. Ces dernières années, le cinéaste a subi une transformation radicale : las de retranscrire à l’image les errements cérébraux et les singularités physiques de ses personnages, ses films apparaissent plus frontaux, plus terre-à-terre. Du moins en apparence. Plutôt que d’emplir ses cadres de diverses métamorphoses comme ce fut le cas dans Chromosome 3 (1979) ou La mouche (1986), les mutations de ses figures sont désormais moins perceptibles.
La transformation du protagoniste A History of Violence (2005) se dessine au coeur d’un univers pleinement réaliste : changement d’identité, cicatrices masquées d’un passé secret, etc. Cronenberg établit ensuite une connexion discrète entre Les Promesses de l’ombre (2007) et son film précédent. A l’aide d’accessoires et d’éléments du décor (des lunettes noires, une estrade, etc.), l’auteur s’amuse avec l’idée que le héros de A History of Violence pourrait s’être accordé une troisième vie, celle d’un redoutable assassin russe, toujours incarné par Viggo Mortensen.
A Dangerous Method s’impose, dès lors, en segment terminal de ce triptyque fondé sur l’opposition surface / profondeur de la normalité. En s’intéressant directement à la confrontation des courants psychanalytiques jungien et freudien, le regard de Cronenberg se porte sur les origines des problématiques essentielles de son oeuvre. Le film prend pour sujet les attributs psychologiques des personnages et l’étendue de leurs possibles répercussions physiologiques. Mais cette fois-ci, contrairement au Festin nu (1991) ou à Spider (2002), pas de névroses matérialisées à l’image, ni de réseaux de symboles à déchiffrer. A priori, il peut paraître injuste de blâmer un auteur qui ne souhaite pas répéter ses obsessions d’antan. Le problème reste que Cronenberg semble désormais éviter à tout prix les répercussions graphiques des maux, idées ou sentiments de ses personnages. Parce qu’elle se révèle catégorique, sa volonté de se cantonner au réel et de fuir sous-textes et symboles ne peut que décevoir.
Ce refus se fait particulièrement marquant lors d’une rencontre entre Jung et Freud, durant laquelle le jeune psychiatre suisse fait part à son mentor de sa fascination pour les « phénomènes d’extériorisation cathartiques ». Il se dit alors convaincu d’être la cause des détonations qu’ils viennent d’entendre dans la pièce. Ce lien entre corps et esprit, suffisamment ténu pour lorgner vers le surnaturel, Cronenberg ne le développera jamais. Plutôt que de se fondre dans ce qui reste l’un de ses thèmes chéris (voir Chromosome 3 et Scanners), il se contentera de discourir objectivement sur le sujet. Assez brièvement, qui plus est.
Le combat que se livre Jung et Freud se cantonne exclusivement à l’intellect. A ce titre, l’astuce optique qui permet de faire simultanément le point sur l’avant et l’arrière-plan durant leur échanges, préserve même les deux hommes du flou susceptible de troubler leurs silhouettes. Un corps fait exception à cette règle : celui de l’amante de Jung, interprétée par Keira Knightley. Maigre, prognathe, habitée, l’actrice rappelle curieusement Charlotte Gainsbourg, lors de ses scènes d’hystérie. Le spectateur est dés lors en droit de songer à Antichrist (2009) dans lequel sexe et analyse unissaient déjà le couple qu’elle forme avec Willem Dafoe. De quoi nourrir encore des regrets face à l’enveloppe glaciale qui enserre les crises et les affrontements qui régissent A Dangerous Method.
A DANGEROUS METHOD (Grande-Bretagne-Allemagne-Suisse-Canada, 2011), un film de David Cronenberg, avec Michael Fassbdender, Keira Knightley et Viggo Mortensen. Durée : 93 min. Sortie en France le 21 décembre 2011.