LE STRATEGE : une histoire de super-héros ?
Le stratège, film de clôture du festival de Tokyo, sorti dans les salles françaises mi-novembre, pourrait sommairement être considéré comme le chainon manquant entre Pour l’amour du jeu et The Social Network. Du baseball et de la stratégie… mais aussi des super-héros. Et si le vrai film jumeau du Stratège était X-Men : le commencement ?
Le film commence par un coup dur. A l’aune de la saison 2002, Billy Beane (Brad Pitt), manager de l’équipe de baseball d’Oakland, vient de perdre ses trois joueurs-clés. Au pied du mur, aidé par un petit génie diplômé en économie (Jonah Hill), Beane décide d’adopter une stratégie jusqu’alors inédite au sein de la Ligue Majeure américaine : le « Moneyball ». Les joueurs que les deux hommes vont enrôler chez les « Oakland A’s » sont considérés selon des statistiques nouvelles, en raison d’aptitudes singulières négligées par l’ensemble des recruteurs du milieu. Quant au réalisateur Bennett Miller, il vient de trouver la matière pour son premier film de super-héros.
Un à un, Beane rencontre les hommes qu’il souhaite réunir pour bâtir son équipe. Le film le montre en rendez-vous avec un premier, puis un second joueur. Miller ne poursuit pas l’enchaînement des saynètes jusqu’au terme du recrutement ; le spectateur connait la routine. Ce type de montage en épisodes, allouant pas à pas la découverte de futurs personnages de premier plan et le dévoilement succinct de leur habiletés spécifique, est typique du film de super-héros. Watchmen (Zack Snyder, 2009) ou X-Men : le commencement (Matthew Vaughn, 2011) ont récemment eu recours à ce procédé. Aux confluents des films de sport et de super-héros, Shaolin Soccer (Stephen Chow, 2001) consacrait lui aussi une dizaine de minutes à cette présentation souvent emballante des forces vives d’une formation naissante.
Avant d’avoir pu engager ces joueurs, Bean et son assistant Peter Brand (Jonah Hill) auront dû batailler pour défendre leurs décisions auprès des recruteurs historiques de leur club. Leur démonstration d’arithmétique repose sur des coefficient appelés « sabermetrics », des stats visant notamment à prouver que la complémentarité des nouveaux arrivants peut supplanter les meilleurs atouts des vedettes envolées. Voici le programme que propose Le stratège : une poignée de génies en sommeil, éveillés puis réunis pour décupler leur force et combattre l’ennemi. Miller délivre alors le panorama tant attendu de leurs singularités, osant même incruster à l’image leurs noms alors que les joueurs égrènent leurs coups spéciaux. Les personnages trouvent ainsi de curieux échos en quelques uns des mutants de X-Men : le commencement.
Receveur reconverti première base, Scott Hatteberg doit accepter un pouvoir qu’il n’admet pas posséder et, en cela, évoque Hank McCoy, alias « Le fauve ».
A plusieurs reprises, en raison de sa façon peu commune d’envoyer la balle, le lanceur Chad Bradford est lui appelé « freak » (« monstre ») par les anciens recruteurs d’Oakland. Son mouvement de bras étrange, l’oscillation de son lancé, le rapprochent de Havok.
David Justice doit quant à lui mettre son égo de côté et accepter le rôle de « grand frère ». Chez les X-Men, c’est une grand soeur qu’incarne Mystique, assurant elle aussi le lien entre les jeunes pousses et le patron. Plus tard, une scène montre Beane et Justice définir expressément son rôle au sein de l’équipe. Le joueur rappelle à son coach qu’il le paye 7 millions de dollars à l’année, qu’il mérite une telle somme du fait de ses aptitudes d’exception. Alors qu’il tente de l’en convaincre, le son des balles qu’il frappe résonne de façon assourdissante. Le spectateur est sonné, forcé d’admettre que Justice, même vieillissant, possède un don. Et peut-être même un second lorsque le flot de lancés cesse net, comme s’il l’avait contrôlé par l’esprit.
Au regard de ces liens tissés de caractérisation, il n’est pas étonnant de retrouver dans Le stratège une scène jumelle de celle de la fête improvisée par les apprentis mutants de X-Men. Les deux films montrent les jeunes super-héros en devenir, heureux d’être enfin réunis, exprimer leur joie par de la danse, une sono à fond et quelques rires. Dans les deux cas, leurs coachs coupent court à la plaisanterie et les rappellent à l’ordre.
La petite fête des apprentis… version mutante
Les leaders des mutants, comme ceux qui ont assemblés les 26 meilleurs A’s de l’histoire du club, fonctionnent par paire : Beane et Brand renvoient au Professeur X et à Magnéto. Passé le générique de fin, passés les prémices de la révolution du « Moneyball » pour l’un et ceux de la guerre des Mutants pour l’autre, les deux tandems connaîtront le même destin : un affrontement au sein de clans opposés. Après leur collaboration à Oakland, équipe pour laquelle Billy Beane a continué d’exercer, Brand – de son vrai nom Paul DePodesta – est devenu un adversaire en dirigeant les Los Angeles Dodgers puis en œuvrant pour les Mets de New York.
A travers le prisme de cette comparaison continue entre Le stratège et les premiers pas des X-Men, la comptine que la fille de Billy Beane entonne à la fin du film sonne plus faux que jamais. Non, Billy n’est pas un « loser ». Billy est un visionnaire, le chef d’une pléiade de joueur-mutants, d’une nouvelle race de super-héros. S’il fallait choisir son pendant dans la mythologie créée par Stan Lee, Beane serait moins un Magnéto qu’un Professeur X. Comme Charles Xavier, mutant paralysé, sa force est mentale et non plus physique. Comme Xavier, il rejette l’idée d’un combat perpétuel et l’opposition des plus faibles contre les plus forts. Il n’est pas question de victoire pour eux, mais seulement de survie. Une survie dans la dignité et l’harmonie, pour d’admirables destins.