« Shame et Fassbender, on n’aime pas trop ! »

A peine la palmarès établi, les journalistes se faufilent dans la salle de conférence pour écouter les réactions des lauréats et les explications, toujours enthousiastes, des Présidents de jury.

Comme à un concert, la vedette du soir se fait attendre. Alexandre Sokourov aura le luxe d’être le plus prolixe mais avant de l’entendre, la salle doit patienter devant quelques « premières parties ». Le premier à se poser derrière le pupitre est Jia Zhang-ke, président du jury Orizzonti, section parallèle de la Mostra, et lauréat du Lion d’or en 2006 avec Still Life.

Si la nouvelle est tombée depuis plusieurs heures, la surprise ne s’estompe pas : le cinéaste chinois a choisi d’honorer le japonais Shinya Tsukamoto pour son film Kotoko. Stylistiquement, ils sont aux antipodes mais les goûts des cinéastes sont parfois bien éloignés de leur propres créations. Tsukamoto est ravi et dédie la récompense à son actrice principale : la chanteuse Cocco. A côté de lui, à propos de son Prix du meilleur court-métrage de la section avec All the lines flow out, Charles Yi Yong Lim marmonne quelque chose comme : « Moi, mon film parle juste d’eau, donc… Je ne comprends pas trop ce que je fais là ». Évidemment, cette traduction est approximative et, dans la salle, tous devinent qu’il est surtout ému et humble.

Le public attend toujours les grands noms du soir : le président du jury de la compétition Darren Aronofksy, Michael Fassbender, Alexandre Sokourov, etc. Mais le suivant à s’adresser à la presse est Guido Lombardi, réalisateur de Là-bas, film évoquant le parcours criminel d’un immigré africain en Italie. Le cinéaste vient de recevoir le Lion du futur, équivalent vénitien de la Caméra d’or cannoise, pour son premier long-métrage. Les dialogues de son film étant, pour l’essentiel, en français et anglais, Lombardi espère que cela ne rebutera pas le public italien et que celui-ci saura s’identifier aux personnages même s’ils ne pas européens.

Darren Aronofsky est accueilli sous les applaudissements. Les lauréats défilent ensuite à ses côtés selon l’ordre croissant accordé à leurs récompenses. Le premier est Robbie Ryan, directeur de la photo des Hauts de Hurlevent pour le prix, amplement mérité, de la Meilleure contribution technique. Si les images impressionnent plus que tout dans le film, il serait néanmoins dommage de s’arrêter à cette composante de l’œuvre. Les qualités d’adaptation de la scénariste Olivia Hetreed et d’Andrea Arnold sont aussi remarquables, et c’est ce qu’insinue Robbie Ryan en déclarant : « A l’école, je détestais le bouquin. Aussi, quand Andrea m’a proposé de travailler sur ce projet, j’étais surpris… Puis j’ai appris à l’aimer ». De l’autre côté du Président s’assoient le réalisateur grec Yorgos Lantimos et son coscénariste, Efthymis Filippou. Le temps alloué à chaque vainqueur du soir étant limité, une seule question leur est posée : « D’où leur est venu cette idée ? ». En l’occurrence, Alps s’attache à l’activité singulière de quelques personnages remplaçant des personnes décédées auprès de leurs proches endeuillés. Les deux auteurs évoquent la base « réaliste » de leur histoire : Filippou avait été intrigué par l’existence de lettres et de coups de téléphones prétendument écrites par des morts pour rassurer leurs proches.

Les comédiens primés entrent dans la pièce. Michael Fassbender (Meilleur acteur pour Shame) est ovationné, mais au moins autant que Deannie Yip (Meilleur actrice, pour A Simple Life). Un journaliste hongkongais prend le micro pour interroger la comédienne. Avec un sourire communicatif, le souffle court, il déclame : « Nous sommes tous tellement fiers de vous ! ». La salle s’amuse du patriotisme exacerbé du jeune homme. Il l’interroge ensuite sur l’impact du rôle sur sa vie, celui d’une femme âgée, affaiblie par un infarctus. « Ce rôle m’a permis de me rendre compte que je ne rajeunis pas. Je prends conscience que je dois penser à la suite de ma carrière, pour ne pas rejoindre trop vite l’hospice comme c’est le cas de mon personnage ! ». Sous le charme, Michael Fassbender lui souffle qu’elle a l’air plus jeune que lui et Aronofsky renchérit : « Vous vous rendez compte à quel point cette femme est sexy ?! ». Sono Sion, le réalisateur d’Himizu, lui, reçoit en leurs noms le double Prix du Meilleur jeune interprète pour ses deux comédiens. Étonnamment, ce qu’il leur souhaite grâce à ce prix n’est pas exactement de poursuivre une grande carrière, mais une grande carrière… à l’international. Aronofsky prend la parole pour dire tout le bien que le jury a pensé d’Himizu, qu’il voit comme « une métaphore des affrontements perpétuels entre les générations, entre parents et enfants ». Puis, lorsqu’il doit évoquer la performance du lauréat de la Coupe Volpi, il ne peut s’empêcher de taquiner son voisin : « On a adoré Himizu… par contre Shame et Fassbender, on n’aime pas trop ». Plus qu’une boutade, c’est une litote : Aronofsky précise que le jury a été séduit par la puissance de Shame, et particulièrement par l’acteur. Aronofsky en vient même à comparer la puissance de la scène d’orgasme de Fassbender à celle du plan final des Nuits de Cabiria de Fellini (1957). Rien que ça.

Vient le tour d’Emanuele Crialese, réalisateur de Terraferma. Les applaudissement intenses des journalistes contredisent les huées entendues quelques minutes plus tôt, dans la salle de presse, lors de l’annonce de son prix. Politesse excessive ou vraie scission ? Impossible à dire. Pour Aronofksy, en revanche, c’est un prix décerné avec passion et à l’unanimité. Lorsqu’une journaliste l’interroge sur une rumeur d’hésitation entre Terraferma et Carnage pour ce prix, Aronofksy nie en bloc : « Dès que nous avons vu Terraferma, c’était une évidence que le film repartirait avec un prix au Palmarès. Le film n’a jamais été en danger. Il restait seulement à définir sa récompense ». Il ne mentionne pas Carnage, et ajoute même un cinglant : « C’est tout ce que je peux vous dire ». Peu après, lorsque Cai Shangjun s’asseoit pour évoquer son Lion d’argent, récompensant la meilleure mise en scène, une main se lève. Aronofksy scrute la salle pour observer le journaliste, puis éclate de rire lorsqu’il comprend qu’il s’agit de David Byrne, chanteur des Talking Heads et membre de son jury. Le Président sait que Byrne s’apprête à poser la question qu’il aurait lui-même posée : « Où avez-vous dénicher ces incroyables lieux de tournage ? ».  Réponse parfaite du réalisateur de People Mountain, People Sea : « La Chine est un très grand pays. En cherchant bien, on trouve ce que l’on veut… ». Concernant la mine dans laquelle le héros s’infiltre vers la fin du film, il se fait plus précis : « Elle est en partie réelle. C’est une mine qui a été récemment fermée. Les extérieurs ont été filmés là-bas, et l’intérieur en studio ».

Alexandre Sokourov, lauréat du Lion d’or pour Faust, arrive enfin, sous un tonnerre d’applaudissement. L’accueil contraste quelques peu avec celui entendu peu avant en salle de presse et tout autant avec celui réservé au film lors des sa projection publique. Les journalistes sont réceptifs, mais restent étrangement muets. Il faut avouer que Sokourov, avec son physique de boxeur et ses lunettes noires, est imposant. Il n’en faudra pas beaucoup pour le lancer, toutefois. L’animateur des débats pose la première question, et Sokourov se lance dans un monologue ininterrompu. Pour lui, pas de doute : les organisateurs trouvent le temps. Il discourt sur le pouvoir de l’art, l’apport mesuré mais précieux du Ministère de la culture en Russie, sur l’utilité des compétitions en festivals, etc. L’occasion de s’assurer qu’il n’est pas seulement un grand faiseur d’images, mais qu’il aime aussi réfléchir sur son métier. Ce soir, il ne fallait pas compter sur Darren Aronofsky, grand cinéphile et fan absolu de son film, pour l’arrêter.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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