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Après Les invisibles, Sébastien Lifshitz retrouve la militante féministe Thérèse Clerc, qui vit ses dernières heures. S’il accepte de filmer la fin de sa vie, c’est pour mieux la parcourir à rebours. Les larmes viendront, mais avant cela quelques rires et beaux souvenirs.
La séquence introductive tient plus du making of que du documentaire lui-même. Jamais plus on ne verra ou n’entendra le réalisateur Sébastien Lifshitz par la suite, mais dans cette scène il est en amorce. Son épaule dépasse, le spectateur se tient dessus, chanceux d’être convié à cette conversation susurrée entre lui et Thérèse Clerc, sujet du documentaire à venir. Chanceux d’apprendre qu’elle demande à son ami cinéaste de faire un film sur elle, et plus précisément sur la fin de sa vie.
On ose parler de «chance» car, malgré la tristesse annoncée des temps à venir, l’opportunité n’est pas si commune : si Thérèse lui demande de filmer sa mort c’est parce qu’à ses yeux, c’est un tabou de notre société, et la vieillesse plus encore.
Mais Thérèse devait s’en douter, Sébastien Lifshitz n’allait pas seulement capter ses dernières heures. Il le fait avec pudeur, dignité, tendresse, bien sûr. Militante féministe de la première heure, qui possédait déjà une place de choix dans le documentaire Les invisibles (2012), elle apparaît pour la première fois vulnérable, forcément. Lifshitz ne saurait le minimiser. Il faut en témoigner pour rappeler que la peur étreint tout mourant, même les plus impétueux, que le grand âge demande aux proches de revenir plutôt que de prendre ses distances. Sébastien Lifshitz réunit alors les quatre enfants de Thérèse, et chacun réagit différemment face à cette mère qu’ils n’ont jamais connu ainsi ; même si, deux par deux, ils précisent déjà avoir un souvenir différent d’elle à l’époque où elle les a élevés, celui d’une femme au foyer passive pour les aînés et d’une activiste amoureuse des femmes et de leur révolution pour les cadets. Le point commun sera l’humour, naturel et bienveillant, qui traverse leurs témoignages. Thérèse elle-même fait rire quand elle sait qu’on la pleure déjà, alors que nous ne la connaissons qu’à travers les films de Sébastien Lifshitz.
Ce sont les souvenirs des quatre qui permettent au réalisateur, à travers des images d’archives notamment, de revenir sur les deux vies de Thérèse et sur ses luttes valeureuses. Mais le plus beau, c’est lorsque il substitut son travail de montage à la mémoire de Thérèse. Par deux fois, un plan au présent sur la femme en train de s’endormir voit s’immiscer dans le défilement des images d’eau et de vagues en noir et blanc, puis une voix off tout aussi apaisée qui étaye les réminiscences éparses de son existence. Les vagues font s’échouer sur le rivage les moments forts de sa vie.
After Life (Hirokazu Kore-Eda, 1998)
Dans son ultime mouvement, le procédé se répète alors qu’elle a cette fois ferme les yeux pour toujours, et l’on pense à After Life de Hirokazu Kore-Eda (1998). Trop ému, on n’y pense qu’a posteriori, d’ailleurs. Dans ce film japonais, des personnages morts depuis quelques instants à peine sont amenés à choisir le plus beau souvenir de leur vie passée sur Terre. Une équipe de tournage les aident à le remettre en scène en quelques jours, offrant au terme de la semaine une cassette vidéo au défunt pour qu’il emporte avec lui ce moment culminant de son existence pour l’éternité. C’est un peu ce qu’à offert Sébastien Lifshitz à Thérèse Clerc avec son documentaire puisqu’il se referme sur ses trois souvenirs les plus précieux, mis en image par ses soins. Comme chez Kore-Eda, ce ne sont pas des pans de vie décisifs, mais plutôt des instantanés apparemment insignifiants et pourtant inoubliables, ce sont des petits instants de perfection, une vision ou une balade, avec une amie ou un parent, une brise légère qui se lève pour figer l’instant à jamais.
LES VIES DE THERESE (France, 2016), un film de Sébastien Lifshitz, avec Thérèse Clerc. Durée : 52 minutes. Sortie en France non déterminée.