Film dossier, mode d’emploi
La présence de Lasa y Zabala hors compétition au festival de San Sebastian apparaît comme une évidence. Le film accomplit le service minimum en matière de cinéma, tout en se montrant d’une grande justesse dans son traitement de son sujet « tiré d’une histoire vraie » – appartenant à la mémoire basque vive et douloureuse (les crimes des GAL, Grupos antiterroristas de liberacion). Pour ces deux raisons, Lasa y Zabala est également un cas d’école de film-dossier.
Pour un Révélations de Michael Mann, combien de téléfilms médiocres ? La plupart du temps le cinéma n’a pas droit de cité dans les films-dossiers, comme si faire preuve d’ambitions artistiques était alors de mauvais aloi. Que cela risquait de parasiter l’instruction du public, de mettre en danger sa réceptivité à un récit édifiant d’un drame réel. Lasa y Zabala penche du côté des téléfilms, mais n’a pas abandonné pour autant toute aspiration formelle. La mise en scène est tenue, sobre et efficace, dans la direction d’acteurs comme dans le montage. Le scénario, pour sa part, a une ligne directrice claire : ne pas tricher, en arrangeant le récit des événements pour acquérir le public à sa cause avec d’autant plus de facilité. Lasa y Zabala s’en tient aux faits avérés, par des preuves ou des témoignages directs ; soit la matière de la justice, devant un tribunal comme au cinéma, et non de la vengeance.
On peut parler d’un véritable retour du refoulé, à l’échelle d’un État
Au début du film, inévitablement, on s’y perd. Car dans les années 1980, là où il débute, les faits avérés sont infimes et les séquences se réduisent à des bribes. Les GAL (commandos para-policiers de la Guardia Civil espagnole) agissent alors de manière secrète et en dehors de tout cadre légal, kidnappant et assassinant des membres de l’ETA en France lorsque ces derniers avaient pu y trouver légalement refuge – et commettant nombre de bavures au passage. Ce n’est qu’une décennie plus tard, à l’identification des dépouilles de Joxi Zabala et Joxean Lasa, deux etarras enlevés à Bayonne, que la machine judiciaire peut se mettre en action ; et avec elle le processus d’exhumation du passé par le cinéma. On peut même parler d’un véritable retour du refoulé, à l’échelle d’un État. Dès que le permet un témoignage ou un aveu, obtenu par le juge ou les avocats des parties civiles de l’affaire, le film déchire son apparence apaisée, neutre. Il nous précipite dans des visions de cauchemar où la torture occupe tout l’écran. Il montre ce qui a été commis, puis tu, et rendu de ce fait encore plus dangereux ; une nécrose cachée au lieu d’une plaie ouverte, que l’on peut soigner.
Dans ces moments, et plus loin dans son épilogue (moment toujours critique d’un film-dossier), le réalisateur Pablo Malo évite la tentation de l’excès, du lacrymal. Sobre et efficace, encore. Mais à une occasion, Malo dévie du chemin des justes. Il imagine une scène de torture qui pourrait être dans la tête d’un des membres des GAL, au moment il hésite entre se confesser partiellement ou entièrement. Que celui-ci ait eu recours à la torture sur ses prisonniers Lasa et Zabala, cela sera avéré par la suite. Mais les détails, le déroulement, restent de l’ordre du non-dit ; et alors le film glisse vers la conjecture. C’est un petit mensonge, par exagération comme il y en a par omission. Mais cela reste un mensonge, et c’est ce qui fait peut-être la différence entre la première ligne du combat pour la justice (l’action sur le terrain), et la deuxième ligne – là où se font les films qui racontent ce qui a été accompli en première ligne.
LASA Y ZABALA (Espagne, 2014), un film de Pablo Malo, avec Uñax Ugalde, Francesc Orella, Oriol Vila. Durée : 107 minutes. Sortie en France indéterminée.