LES APACHES de Thierry de Peretti

Avec Ilo Ilo, récompensé de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes et dans les salles le mois prochain, Les Apaches régénère le néoréalisme – couplé à une utilisation remarquable du fait divers. 

Faisant suite à la sortie de la très belle trilogie autobiographique de Bill Douglas, deux films cannois remettent l’ouvrage sur le néoréalisme, se révélant en la matière plus réussis, plus stimulants que tout ce qu’on a pu voir depuis… un moment. D’Ilo Ilo, justement adoubé à Cannes par Agnès Varda, il a déjà été question iciLes Apaches, premier long comme le film d’Anthony Chen, est étourdissant. On n’aurait pas imaginé son auteur sur ce terrain-là, vu son background (théâtre, villa Médicis). Etonnant donc de découvrir un film (1) à ce point réussi, en matière de captation du réel, (2) capable de dépasser l’évidence de ce talent naturaliste pour proposer un récit en forme de fuite en avant, à la fois minimaliste et ample, parvenant à suivre à la trace son fait divers tout en en dégageant tout le sens.

La puissance naturaliste est logiquement ce qui s’impose en premier lieu. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un film aussi à l’écoute de ses interprètes, aussi précis dans sa restitution de leurs accents et expressions. Capable de faire voir, et entendre, le moment où une discussion s’échauffe, une voix se brise, s’exaspère. C’est bête à dire, mais qui connaît un peu la Corse peut difficilement ne pas être frappé par le sentiment de vérité extraordinaire qui émane de ces jeunes garçons oisifs ainsi que de leurs familles (les garçons traînent au village, chassent et vont en boîte, les filles bossent et vont étudier sur le continent). Il faut voir l’un de ces post-adolescents amuser la galerie avec ses imitations de continentaux en vacances, un autre s’énerver devant les réponses floues d’un passant : « laisse tomber, c’est un Portugais, il comprend rien », manifestation parmi d’autres d’un racisme parfois ahurissant (d’autres bribes de dialogue, parmi les plus fortes du film, en témoignent également).

LES APACHES de Thierry de PerettiPour autant, Les Apaches est loin de se cantonner à l’enregistrement de ces tranches de vie, aussi saisissantes soient-elles. L’espace de quelques minutes, il est permis de le craindre. Passé une entrée en matière très convaincante (Aziz et son père finissant leurs travaux dans la maison des continentaux), le cinéaste s’attarde un peu longuement sur ses jeunes entre eux : piscine, beuveries, provocations débiles, menaçant de tomber dans un « cassavetisme » peu inspiré. Pas longtemps. Le film retrouve immédiatement son tranchant : le larcin mineur a des conséquences, l’escalade s’enclenche et mène au drame. Le tout dans un style relativement sec, mais d’une sécheresse qui n’est pas celle, mutique, poseuse, d’un (plus ou moins) film de genre – comme L’esquive en son temps, Les Apaches reste de bout en bout centré sur la parole. Qui n’exclut pas non plus une vraie générosité dans les à-côtés : la mère de l’un, la copine de l’autre, traversent le film, lui permettant de s’ouvrir. Leur contribution reste minimale, elle n’en montre pas moins qu’il n’y a pas ici, comme le projet pouvait le laisser craindre, d’aridité de principe. Rien n’est de trop, rien n’est gratuit, mais ce parti-pris d’économie ne doit pas empêcher le film de s’élever très au-dessus de son fait divers.

C’est ce dernier aspect qui, en définitive, fait des Apaches une œuvre immense. C’est peu dire que le fait divers au cinéma n’est pas quelque chose qui nous enthousiasme a priori. On a souvent l’impression, ou bien que l’auteur cherche par principe à faire dire quelque chose à un évènement qui relève par définition de l’exception, de la marge, ou bien, au contraire, qu’il se satisfait de raconter une histoire sordide incapable de révéler grand-chose d’une société à un moment donné. Rien de tel ici : de toute évidence, si le cinéaste a choisi ce fait divers en particulier, et pas un autre, c’est parce que ce dernier se trouve à la jonction de l’habituel et de l’inhabituel. Qu’il donne à voir un dérèglement, mais qui révèle un univers lui-même étrangement réglé. Le fait divers compris ainsi n’est plus l’extraordinaire, mais un quotidien simplement exacerbé par le drame, belle intuition permettant à ce court long-métrage d’un abord un peu ingrat de communiquer avec les apaches d’autres grands récits contemporains à la télévision et dans la littérature (The Wire, Les Sauvages).

LES APACHES (France, 2013), un film de Thierry de Peretti. Avec François-Joseph Culioli, Aziz El Haddachi, Hamsa Mezziani. Durée : 82 min. Sortie en France : 14 août 2013.

 

 

Nicolas Truffinet
Nicolas Truffinet

Fait dodo. Et quand ce n'est pas le cas, continue d'hésiter entre le cinéma (critique et écriture) et l'Histoire.

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