CONJURING – LES DOSSIERS WARREN de James Wan

Sensation horrifique des festivals de l’été (Édimbourg, Los Angeles, Montréal), Conjuring – les dossiers Warren confirme le statut de champion du monde de l’horreur de James Wan.

 

James Wan n’a que 36 ans mais l’une de ses plus grandes qualités, c’est son côté «vieux». Vieux-jeu, d’une part, parce qu’il puise son inspiration dans des contes horrifiques à l’ancienne : chez lui pas de quaterback héroïque ou de cheerleaders sacrifiées, pas de téléphones portables qui perdent leur réseau ni de montage cut à tout va. Mais aussi vieux avant l’âge : Wan est du genre à radoter… Il répète les mêmes obsessions, film après film. Excepté quand il s’essaye au vigilante (Death Sentence en 2007) ou à l’action (Fast & Furious 7 l’année prochaine), James Wan reconduit inlassablement les même motifs : des maisons hantées, des marionnettes et autres poupées maléfiques, des photos à décrypter, des enquêteurs roublards en tandem, etc..
Une poignée de redites qui pourraient lasser s’il ne s’amusait pas à varier leur degré d’importance au sein de l’intrigue et le ton qui définit chacune de leurs apparitions à l’image. Dans Conjuring, le marionnette apparait dès le prologue, elle fait cette fois-ci office de hors-d’œuvre, comme pour rappeler qu’on est bien en terrain connu. La hantise circule aussi, d’une maison à une autre, d’une maison à un corps, d’un vaisseau organique à une marionnette en bois, etc.. Wan utilise même ses comédiens de la même façon, un second rôle pouvant passer au premier plan au film suivant, et vice-versa.
Mais le motif «wanien» en mutation dans Conjuring qui interpelle le plus est celui du duo d’enquêteurs. Cette fois-ci, il est double : les Warren du titre sont un couple de chasseurs de fantômes, puis ils sont rejoints à la moitié du film par une autre paire d’enquêteurs/traqueurs. C’est ce second couple qui rappelle le duo d’Insidious (voir l’illustration ci-dessous), à la différence près que celui de Conjuring, lui, ne fait pas basculer le film dans le farce comme leurs ainés. Dans Insidious, les compères en venaient presque à lorgner sur les frères LaGaule de South Park ou sur Sam et Scooby-Doo, au point d’extraire, même momentanément, le spectateur de la terreur dans laquelle Wan avait pourtant su le plonger pendant près d’une heure. Le tandem de Conjuring possède plus de chair. S’il fait toujours office de caution comique, l’humour qui les caractérise ne change pas le ton du film, il détend seulement l’atmosphère à une ou deux reprises. C’est néanmoins leur caractérisation qui séduit particulièrement : l’un est un flic sceptique et l’autre un chasseur de fantôme érudit. Le spectateur peut ainsi osciller de l’un à l’autre, selon qu’il résiste ou qu’il se laisse emporter par l’angoisse. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’acteur Shannon Kook (le chasseur) ressemble à James Wan. L’homme est partie prenante au sein de l’enquête, il est celui qui enregistre en vidéo les phénomènes paranormaux et c’est même lui qui déclenche (par inadvertance ?) la grande scène de terreur finale. Avec ce personnage-clone, Wan résume  son cinéma : à la fois authentique (il croit et cherche à convaincre les plus incrédules) et ludique (il joue avec le spectateur et ne s’en cache pas).

De gauche à droite : INSIDIOUS, SOUTH PARK, CONJURING, James Wan

C’est par sa dimension ludique, et grâce à ses auto-références, que le film parvient même à créer peur et suspense avec ce qu’il ne raconte pas. Il y a deux films dans Conjuring : celui qui se déroule sous les yeux du spectateur et un second, imaginaire, pour les fans de James Wan les plus gourmands. Comme si le spectacle n’était pas assez prenant et effrayant comme ça, Wan semble distiller des indices dans l’unique but de faire monter la pression et démultiplier les sous-intrigues et twists potentiels. Et le spectateur imagine les résolutions les plus folles.

Le coup de théâtre final d’Insidious, qui impliquait une sorcière et une photographie, revient en tête à mesure que Wan insiste, encore et encore, sur une photo de famille dont l’identité du cadreur reste incertaine. Puis l’absence de photo dans un médaillon devient une autre obsession du spectateur le plus paranoïaque, redoutant à chaque instant qu’une entité maléfique ne vienne combler ce vide. Libre alors au spectateur de compléter Conjuring par ses propres scènes coupées imaginaires ou par des fins alternatives de son cru. Il ne s’agit pourtant pas de surinterprétations ou de corrections de la part d’un spectateur trompant l’ennui ou se croyant supérieur au film qu’on lui offre, ce sont là les signes de la richesse du cinéma de James Wan, qui se permet encore d’orner son récit premier de jachères et de fausses pistes. La vision de la pièce maudite dans l’appartement des Warren devient une autre perception de l’amplitude de son œuvre. A la fin de chaque enquête, le couple Warren a récupéré un objet qui fut ensorcelé et l’a entreposé chez eux, pour les garder à l’écart du monde. La réserve rappelle celle du dernier plan des Aventuriers de l’arche perdue (Spielberg, 1981) ou encore chaque fin d’épisode de Eerie, Indiana (1991-1992), série supervisée par Joe Dante, un réalisateur qui partage d’ailleurs le goût de James Wan pour les visions cauchemardesques faites de marionnettes comme en a témoigné The Hole, sorti un an tout juste avant Insidious. La réserve d’objets de Conjuring a pour effet d’ouvrir une fenêtre sur l’esprit de Wan, sur tous les autres films de possession qui attendent patiemment d’être portés à l’écran.

Conjuring donne envie de se plonger dans chacune de ces histoires parallèles. La prochaine ne vas pas tarder, c’est Insidious 2, en salles dès le 2 octobre prochain. Et si l’enthousiasme est tel, c’est parce que James Wan est le réalisateur de film d’horreur le plus épatant en activité. En terme d’apparitions horrifiques, c’est habituellement au Japon que la concurrence est la plus rude : Takashi Shimizu (Ju-on) est un expert en la matière mais se renouvelle peu, Hideo Nakata (Ring) semble s’être perdu en route depuis son essai hollywoodien et Kiyoshi Kurosawa (Kaïro) s’est engagé sur une voie plus poétique au sein du cinéma fantastique ces dernières années. Alors il ne reste à James Wan qu’un adversaire de taille, celui qui lui a tout appris et qui semble s’être retiré : David Lynch. Il faut voir cette séquence, incroyable, dans Conjuring où Wan balaye d’un coup tout le travail sur la suggestion qu’il avait préparé depuis plus d’une demi-heure pour faire enfin, à la surprise générale, apparaitre une sorcière plein cadre. L’allure du personnage, le meuble derrière lequel il se cache, sa pose surtout, tout fait penser aux apparitions lynchiennes les plus tétanisantes : l’homme qui lit le journal intime de Laura Palmer dans Twin Peaks – Fire walk with me (1992), l’étrange visage aperçu dans l’arrière-cour du Winkie’s dans Mulholland Drive (2001). Lynch se faisant aussi rare que Wan est hyper-actif, le passage de flambeau a bien lieu, et le jeune auteur australien est désormais celui sur lequel il faut compter pour nous rapprocher de l’homme effrayé à la fin de la scène du Winkie’s : terrassé par une crise cardiaque à la seule vision savamment orchestrée d’une sorcière échappée d’un autre monde.

Pour le souvenir, voici la scène en question dans Mulholland Drive, et ce qui pourrait bien vous arriver devant Conjuring :

http://vimeo.com/19215499

CONJURING – LES DOSSIERS WARREN (Conjuring, Etats-Unis, 2013), un film de James Wan, avec Vera Farmiga, Lili Taylor, Patrick Wilson, Ron Livingtson, Joey King. Durée : 112 min. Sortie en France le 21 août 2013.