SUZANNE de Katell Quillévéré

Trois ans après son très beau premier film Un poison violent (Quinzaine des Réalisateurs 2010), Katell Quillévéré présentait cette année Suzanne en ouverture de la Semaine de la Critique. Ou l’audacieux récit sur une vingtaine d’années de la vie d’une jeune femme et de sa famille. Sans quitter les sphères intimistes de la chronique familiale et amoureuse, son ambition de cinéaste prend ici une ampleur étonnante.

Ce qui frappe avant tout dans Suzanne, c’est la recherche permanente du romanesque. Le film est proche de la saga familiale : de l’enfance de son héroïne éponyme (Sara Forestier) à sa maturité en passant par les années lycées, deux grossesses, une vie en cavale, des relations en dents de scie avec son père (François Damiens) et sa sœur (Adèle Haenel)… Le récit de Suzanne se fait par à-coups. On ne peut s’empêcher d’y admirer un usage parfois stupéfiant de l’ellipse, prenant le risque de perdre le spectateur en choisissant de ne pas tout expliquer, en ne cherchant pas à « épuiser » entièrement les personnages à chaque instant. Suzanne est enfant : belle séquence de spectacle de danse puis scène familiales assez justes et touchantes. Puis hop, Suzanne est lycéenne, et enceinte. De qui ? Il n’en sera jamais question. Hop, Suzanne s’entiche d’un mauvais garçon, elle est sa complice dans un braquage dont nous ne verrons rien car hop, la voici déjà en prison. Les événements capitaux, les prises de décisions majeures etc. sont presque toujours hors-champ, invitant le spectateur à les imaginer a posteriori. Un nouveau mystère, donc, à chaque « flash forward » ; et pourtant, aucun déficit d’incarnation et un attachement sans réserve aux personnages.

SUZANNE de Katell QuillévéréLà où la facilité aurait amené des développements psychologisants, une causalité bien définie (les frasques de Suzanne liées au traumatisme de la mort de sa mère ? pas nécessairement), Katell Quillévéré préfère s’en remettre aux hasards et aux énigmes. Le film s’autorise même à faire disparaître son héroïne de l’écran pendant un certain temps, prenant à cette occasion un tour presque choral. Le « délié » de l’histoire autorisant des gestes de scénario audacieux, certaines péripéties pourront paraître inutilement mélodramatiques (on n’en dira pas plus). Par ailleurs, saga romanesque oblige, on voit donc évoluer les personnages et leurs décors sur de nombreuses années. Possible léger déficit de croyance ici : on sait grès à la cinéaste d’avoir opté pour une reconstitution minimaliste des années 80-90, évitant le pittoresque. Reste que Sara Forestier est forcément moins crédible en lycéenne (ici pseudo-grunge) qu’il y a dix ans dans L’Esquive… Elle est cependant remarquable, comme le sont l’ensemble des comédiens, admirablement dirigés. On aura rarement vu François Damiens aussi beau (oui, beau) et troublant en père célibataire voyant sa fille s’éloigner physiquement et moralement. Le débutant Paul Hamy (que l’on verra bientôt dans le beau Elle s’en va d’Emmanuelle Bercot) et la toujours sublime Adèle Haenel ont juste ce qu’il faut de magnétisme.

Il faut toute la puissance de conviction du récit et de la mise en scène pour nous faire adhérer finalement presque entièrement à ce deuxième film qui, s’il n’évoquait pas une inconnue fictive et française, aurait tout pour être un beau biopic américain.

SUZANNE (France, 2013), un film de Katell Quillévéré. Avec Sara Forestier, François Damiens, Adèle Haenel, Paul Hamy. Durée : 94 min. Sortie en France : 18 décembre 2013.