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Un monde violent : c’est l’impression qui se dégageait de quelques films de Cannes 2013. Et puis il y eut Jimmy P. d’Arnaud Desplechin qui faisait le pari inverse : à travers le récit d’une psychanalyse, l’après-guerre comme un apprentissage de la douceur.
Un homme qui s’écroule sur le sol du haut d’un immeuble (A Touch of Sin, Ilo Ilo). Un autre qui asperge d’acide les passants (Blind Detective) ou enlève pour les violenter des petites filles (Ugly, comme son nom l’indique). C’est un constat banal, tant pis, que d’observer à quelle fréquence reviennent à Cannes, film après film, de telles scènes de violence. Passages à tabac, agressions, suicides : faut-il voir là un effet de la crise ? Toujours est-il que le festival aura montré un climat pour le moins délétère, en Inde, à Singapour, en Chine.
C’est de Chine, justement, que vient le film qui illustre et théorise ce phénomène le mieux : A Touch of Sin (lire notre critique). Etonnant, une telle brutalité, de la part de Jia Zhang-ke. Dès les premières minutes, cette dimension s’impose avec éclat : tentative de racket, triple meurtre. Suivront un tabassage en règle, plusieurs assassinats, par désespoir, intérêt ou légitime défense, le tout dans un style nettement plus rugueux que ce à quoi le cinéaste nous avait habitués. Comme si, dans un contexte socialement difficile, la violence constituait l’exutoire inévitable. Il existe évidemment un risque à vouloir trop axer les choses là-dessus. Une société ne se résume pas à sa marge, pas plus que la sociologie ne doit être l’étude des faits divers. Il y a sans doute pas mal de mauvaises raisons de privilégier ainsi les pistes les plus extrêmes (du racolage au simple automatisme : répétition des films qui précèdent). Il serait injuste pour autant de nier par principe l’authenticité de cette noirceur, de douter que quelque chose s’exprime ici sur la part de violence du monde contemporain.
On a découvert, heureusement, un joli contrepoint : Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des plaines) a suscité chez nos confrères des sentiments ambivalents. Beaucoup ont trouvé le film plat, presque fade, souffrant d’un récit qui l’oblige au sur-place. Cela se conçoit. Il n’est pas question d’applaudir par principe l’entreprise un peu voyante de dépaysement qui préside à l’écriture du film. Go West, young director est aussi le mot d’ordre du film de Canet… Quant à la confrontation d’acteurs a priori issus d’univers très différents, c’est peu dire qu’on se méfie en général du procédé : comme si confronter, mettons, Huppert à Naceri, Huppert à Kool Shen (mettons), constituait nécessairement un gage d’originalité ou de non-inféodation – quand il s’agit le plus souvent d’une fausse bonne idée, vaguement maligne et surtout frimeuse.
On ne saurait être plus éloigné du geste de Jimmy P., beau film doux et modeste dépourvu de toute ostentation. Amalric fait son numéro… le temps d’une scène, et puis se calme, manière habile, de la part de Desplechin, de montrer que son œuvre arrive à un tournant. Dans ce film d’apparence un peu terne, une chose en en particulier nous a touchés : derrière la dimension intimiste (rencontre de deux hommes : presque un buddy movie touchant), le film a à cœur de proposer une vision de l’Histoire, présentant l’immédiat après-guerre comme le moment d’un tournant dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’histoire des mentalités ». Le moment où s’invente une certaine douceur. Que Desplechin choisisse le cadre qui s’y prêtait à priori le moins, le service psychiatrique d’un hôpital militaire (de Soudain l’été dernier et Shock Corridor à L’échange et Shutter Island, celui-ci s’est même imposé comme le lieu de la terreur par excellence, dans le cinéma américain), dénote à l’évidence une immense habileté. Celui-ci fait bien semblant d’aborder quelques unes des pistes attendues (des bribes de racisme envers le soldat indien, le caractère sordide du lieu, à l’image notamment du suicide d’un codétenu)… Trois fois rien. De manière générale, médecins et supérieurs se montrent courtois, charmants. Mettre en doute l’utilité d’une psychanalyse, exhorter le vétéran abîmé à prendre sur lui, ou à se prendre en main… ne vient même pas à l’esprit d’hommes qu’on imagine pourtant avoir été plus rudes, sur le front, quelques années plus tôt. Desplechin faisant le choix, bien plus difficile et audacieux qu’il n’y parait, d’évincer le drame, à quelques exceptions près.
Peu importe le détail de la psychanalyse, le contenu du traitement, avec ce que celui-ci peut comporter de daté. L’important réside dans l’attention, absolument neuve, qu’un homme peut se voir prêter, en l’occurrence dans le cadre d’une analyse. Dans la légitimation de ces formes de suivi, la valorisation de l’introspection et, parallèlement, de l’écoute bienveillante. Dans l’acceptation d’une certaine fragilité masculine. Bref, toute cette évolution qui fait hurler Eric Zemmour et qu’à titre personnel, avec quelques réserves et nuances, on apprécie.