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Dans Passion, Brian De Palma copie Alain Corneau, pille toujours Hitchcock, se cite lui-même et ajoute même P.T. Anderson et Jonathan Demme à son tableau de chasse. Les autorités l’ont rattrapé, De Palma est aujourd’hui sur le banc des accusés. Vol, usurpation d’identité, trahison… Un casier bien rempli. Sera-t-il condamné ?
Brigand, De Palma. Depuis Sœurs de sang (1973), il dérobe sans vergogne les scènes-clés de ses cinéastes fétiches. Les allusions, citations, relectures jusqu’aux perversions des passages les plus célèbres des films d’Hitchcock se répètent à chaque nouveau thriller. Ça et là, Eisenstein, Antonioni, Polanski, Bette Davis surgissent aussi dans ses films. Aujourd’hui, De Palma est sur le gril. Avec Passion, son insatiable désir de s’approprier les images des autres est à son paroxysme. Avant de connaître le verdict de ce procès, passage en revue des quatre chefs d’accusation qui pèsent à son encontre.
#1 : Vol avec circonstance aggravante
Le vol en question est commis contre la personne d’Alain Corneau. En théorie, cela aurait dû être une simple passation, d’un commun accord : Passion est le remake officiel de Crime d’amour (2010). Seulement, la mise en oeuvre de cette prise de possession s’avère quelque peu impudente. De Palma ne se contente pas de reprendre l’intrigue du film de Corneau, passe encore d’ajouter ses propres scènes, il évite même sciemment de rejouer les notes les plus fausses de la partition originale. Exit notamment le point de vue de la meurtrière lorsqu’elle commet l’irréparable ; De Palma en fait le moment charnière de Passion, magnifiant la notion de point de vue lors d’une prodigieuse séquence en split-screen dont les deux plans juxtaposés lui permettent de jouer dans un même espace englobant sur les possibles du champ-contrechamp d’un coté, et sur les limites du hors-champ de l’autre. Mais De Palma va plus loin, trop loin. Après le crime, lorsqu’il s’attarde sur l’enquête visant à inculper ou disculper Isabelle (Noomi Rapace), De Palma a le culot de réparer une à une les maladresses de Crime d’amour. La bêtise des enquêteurs n’est plus : d’une part, parce que raconter l’histoire d’un film que l’on peut avoir vu n’importe quel jour, à n’importe quelle heure, n’est plus ici un alibi suffisant ; d’autre part, parce que les bévues de l’inspecteur s’expliquent désormais par des sentiments réprimés à l’égard de l’accusée.
C’est plus qu’une relecture, c’est une correction. Avec une circonstance aggravante, presque inexcusable : De Palma l’inflige à un cinéaste décédé depuis. Un manque de tact qui ne semble pouvoir qu’alourdir sa peine.
#2 Kleptomanie (avec récidive)
Concernant ce crime, l’accusation se doit de saluer les efforts fournis par Brian De Palma dans Passion pour lutter contre l’un de ses démons de toujours ; le vol puis l’appropriation systématique de séquences matricielles de Sueurs froides (1958) et de Psychose (1960). L’accusé a opéré un transfert appréciable : à la fin de son dernier film, il applique à son propre cinéma un traitement comparable à celui qu’il infligeait usuellement à Hitchcock. Lors de la grande séquence finale de Passion, des motifs de Pulsions (1978) et de L’esprit de Caïn (1992), refont surface, malaxés, télescopés. Il y a plus humble comme démarche, mais qu’importe, De Palma semble soigné de ses maux d’antan. Seulement, au sein de cette séquence méta-depalmienne, il orchestre le suspense selon un double prisme hitchcockien : la vision d’un membre qui s’étire à l’infini afin de récupérer un objet inatteignable (ici, un téléphone portable contre un briquet dans L’inconnu du Nord Express, 1951) et celle d’un escalier arpenté, haché, pour une tension grimpante empruntée à Sueurs froides. Dommage, cent minutes durant, il avait su se contenir.
Toutefois, concernant ce chef d’accusation, De Palma ne saurait être considéré comme pleinement responsable de ses actes. Pour lui, voler Hitchcock relève de la kleptomanie. Une résurgence obsessionnelle, à tendance monomaniaque, qui lui est extrêmement difficile à contrôler depuis près de 40 ans.
#3 Usurpation d’identité
Brian De Palma a déjà été condamné pour usurpation d’identité par le passé, puis il fut inévitablement relaxé pour excès de virtuosité. A chaque fois, c’est un costume d’Alfred Hitchcock qu’il avait revêtu : celui de Fenêtre sur cour (1954) pour Body Double (1984), de Sueurs froides pour Obsession (1976), de Psychose pour L’esprit de Caïn. Entre autres travestissements. Surprise, avec Passion, ce sont les habits de Jonathan Demme qu’il enfile. Il faut voir les scènes durant lesquelles Isabelle perd pied (un exemple ci-contre) pour sentir l’influence du filmage de Demme : les cadrages obliques, les jeux d’ombres et de lumières appuyés, mais aussi les gros plans insistants et légèrement axés sous le menton durant chaque scène d’interrogatoire.
Ci-dessous, les pièces à convictions consignées, respectivement nommées P.A.C #a Phildelphia – J. Demme – 1993 et P.A.C #b La vérité sur Charlie – J. Demme – 2002, ne laissent plus beaucoup de place à l’imagination. Le constat est sans appel : « DP a plagié Demme ».
P.A.C #a Phildelphia – J. Demme – 1993
P.A.C #b La vérité sur Charlie – J. Demme – 2002
#4 Trahison
Le plus troublant, le plus pervers, le plus triste dans cette affaire, c’est que ce vol d’identité n’est pas une fin en soi pour Brian De Palma. En se faisant passer, l’espace de quelques instants, pour Jonathan Demme, il cherche à toucher Paul Thomas Anderson. Le plan est machiavélique, savamment réfléchi. De Palma commence par dérober PTA de ses attributs. Première minute de film, premier vol : la musique de Pino Donaggio se fait entendre, sauf qu’il s’agit d’un plagiat éhonté d’une piste de la bande originale de Magnolia (1999), film réalisé par… Paul Thomas Anderson. Un mashup des deux musiques permet de se rendre compte de leur similarité, précisément parce que les deux pistes se confondent. Sur sa lancée, De Palma pousse le vice jusqu’à engager un acteur nommé Paul Anderson pour jouer le rôle de celui qui, in fine, sera le dindon de la farce de Passion. A noter que le personnage qu’il interprète se nomme « Dirk », pas le prénom le plus usité de la langue anglais mais toutefois celui du célèbre héros de Boogie Nights (P.T. Anderson, 1997) : Dirk Diggler. Brian De Palma a fauché à PTA ce qui le définit, en tant que personne et en tant qu’artiste, mais il lui a aussi volé ce qu’il a de plus cher, celui qu’il aime : Jonathan Demme. Car P.T. Anderson l’a souvent déclaré, notamment dans les commentaires audio de Hard Eight (1996) puis de Boogie Nights, son cinéaste préféré, c’est Demme. Incroyable, mais vrai.
Dernier coup du destin, c’est finalement le narrateur de Magnolia qui résume le mieux la situation : « Je voudrais penser… que ceci n’est que le fruit du hasard. Mais ce n’était pas un hasard. Ces choses étranges arrivent tous les jours ».
Verdict
Passion a mené Brian De Palma sur le banc des accusés et c’est pourtant Passion qui va lui servir de plaidoirie. L’histoire est celle de deux collègues de l’annexe berlinoise d’une multinationale qui se tirent dans les jambes pour s’attirer les faveurs de la maison mère new-yorkaise. L’une s’approprie le projet de l’autre, qui s’octroie ensuite la primeur de sa présentation. Voler une idée, voler un fichier, voler la vedette. Le film lui permet de mettre en scène des personnages coupables des mêmes agissements que les siens : vol, usurpation, travestissement, etc. De Palma ne se contente pas de tisser un réseau d’extorsions, il insiste sur l’ambivalence morale et l’interchangeabilité de ses personnages ; ce qui n’a rien de flatteur à leur égard. Le premier coup de téléphone entendu dans le film ébranle déjà les présomptions du spectateur quant à leur rapport hiérarchique. La scène de la menace par mail bouleverse encore les certitudes : la patronne se fait passer par écrit pour sa subordonnée (« Vous m’avez humiliée. La vengeance est un plat qui se mange froid »), ce qui est d’autant plus troublant qu’à cet instant du récit, c’est elle qui a été trompée et humiliée par sa collègue. Ce type de leurre était de mise dès la diffusion des premiers éléments promotionnels de Passion : la photo ci-dessus laissait ainsi supposer que Christine / la victime était incarnée par Noomi Rapace et Isabelle / la meurtrière par Rachel McAdams.
Brian De Palma est un excellent joueur de bonto : il permute les personnages, renverse les hypothèses, distrait le regard, pour ne plus laisser transparaître qu’un entrelacs d’actions vils et perfides. En résulte sans mal l’impression que les personnages qu’il décrit lui sont humainement inférieurs. Et ce, pour une raison simple : comme eux, De Palma vole, ment, copie, trahit, mais dans son cas, « il n’y a pas mort d’homme ». Voilà qui fait toute la différence.
Verdict. Dans l’affaire qui oppose peu ou prou tous les cinéastes hollywoodiens formalistes qu’il pourrait affectionner à Brian De Palma, il convient de prononcer le non-lieu.