Cannes : la collection printemps-été 2012

Pour monter les marches, le dress code cannois a toujours été très strict : tenue de soirée pour les femmes, smoking et noeud pap’ pour les hommes. Sur l’écran, en revanche, la liberté est de mise. Petit tour d’horizon des costumes les plus inventifs et farfelus du dernier Festival de Cannes.



Le modèle ?

Matthew McConaughey

Ce qu’il porte ?

Une chemise blanche (rarement lavée)

Pour qui ?

Jeff Nichols



Avec Mud, présenté en Compétition, le réalisateur Jeff Nichols a tout compris à Matthew McConaughey. L’important, ce n’est pas son jeu, ou même son magnétisme, c’est son torse. Difficile, d’ailleurs, de se souvenir de la dernière fois que Matthew s’est retrouvé face à une caméra sans exhiber son corps musclé. Dans Mud, sa chemise devient un objet magique, échappé d’un Wong Kar-wai, comme les bouteilles brisées d’As tears go by, la lampe phosphorescente de Happy Together ou le train à remonter le temps de 2046. Le personnage éponyme, Mud, décide ou non de la porter, selon son besoin d’être invincible ou bien vulnérable. Voici le premier film où le dénuder revient à affaiblir McConaughey. Sans trop en dévoiler, la parade finale qui permet à Nichols de lui retirer sa chemise blanche tout en empêchant McConaughey de montrer ses abdos, est admirable. Grâce au jeune cinéaste de l’Arkansas, l’acteur débute peut-être une nouvelle carrière, et même une œuvre personnelle : au même titre qu’un Tom Cruise qui s’interroge de film en film sur les différents « masques » que son métier lui demande de porter, McConaughey pourrait bien commencer à se poser de sérieuses questions sur ses biscotos.

 

 

Le modèle ?

Yu Jun-Sang

Ce qu’il porte ?

Un t-shirt de maître-nageur (souvent mouillé)

Pour qui ?

Hong Sang-Soo

 

Après la chemise blanche de Matthew McConaughey, qui a retenu notre attention aux dépends de celle portée par Bernard Henri-Lévy dans Le serment de Tobrouk, c’est un t-shirt qui a su attirer notre regard. Dans In another country de Hong Sang-Soo, l’acteur Yu Jun-Sang incarne un maître-nageur. C’est d’ailleurs marqué en toutes lettres sur son t-shirt : ライフガード. Les trois personnages jouées par Isabelle Huppert, dans chacun des trois « possibles », soit chacun des trois sketchs d’In another country, sont immanquablement séduits par le jeune homme. L’homme a lui aussi plusieurs facettes, deux pour être précis : la touriste française percevant alternativement qui il est, en le regardant de face ou de dos, puisque « lifeguard » est inscrit en anglais à l’avant et en coréen à l’arrière de son t-shirt. Comme dans Mud, c’est le fait de porter ou non le vêtement qui permet au personnage de prendre toute sa dimension. Dans les deux premiers sketchs, il apparait torse-nu avant de se rhabiller pour discuter plus formellement avec les deux Huppert. Dans le dernier, alors qu’il passe devant elle à la nage, la femme boit du soju mais ne brise pas sa bouteille sur le sol. Soit, une non-action, a priori insignifiante. Seulement, au début du film, dans un autre « possible », une bouteille cassée se trouvait à l’exact endroit où le personnage se tient à la fin. Ce qu’elle vient de casser, c’est un cycle infernal. La spirale de solitude est brisée et, ainsi, contrairement aux deux sketchs précédents, le « lifeguard » ne s’arrête pas, ne se rhabille pas et ne lui parle pas… mais pour mieux la retrouver plus tard. C’est beau.


Le modèle ?

Un acteur de Paradis : amour qui n’a pas froid aux yeux (entre autres)

Ce qu’il porte ?

Un petit nœud rose

Pour qui ?

Ulrich Seidl

 

Vers la fin de Paradis : amour, quatre femmes autrichiennes venues faire du tourisme sexuel au Kenya offrent un homme à l’une d’entre elles en guise de cadeau d’anniversaire. C’est, en toute logique, pour cette raison que le garçon porte un petit nœud rose autour de son sexe. L’image ci-dessus, volontiers putassière, capte un instant avancée de la sauterie, puisque la cadeau a déjà été déballé. Pour revenir au nœud de ce paragraphe, il stigmatise le problème qui gangrène le film d’Ulrich Seidl. Il faut avoir en tête qu’un pénis est souvent surnommé « noeud » (dans de nombreuses langues…), que le rose est sa couleur sous-jacente jusqu’alors connue par les quatre femmes et, enfin, que la petite taille du ruban renvoie à celle du membre de l’homme, pas assez vigoureux selon les quatre femmes. Autrement dit, c’est un petit noeud rose sur un « petit noeud noir ». Cette image concentre la maladresse du film de Seidl : tout y est trop surligné, et notamment sa problématique centrale, ici perceptible de manière allégorique, celle du regard que la femme blanche porte sur l’homme noir. Sub-til !

Les modèles ?

Melvil Poupaud et Adolfo Jimenez



Ce qu’ils portent ?

Des gros pulls estampillés « années 90 »

Pour qui ?

Xavier Dolan et Carlos Reygadas

 



Le pull « années 90 » a réussi un beau come-back cette année à Cannes. Attention, toutefois : chez Xavier Dolan, son ancêtre, le mémorable pull « années 80 », avait beaucoup moins de scènes mais des couleurs tellement criardes qu’il aurait presque pu lui voler la vedette. Simple figurant chez Dolan, le pull eighties était de toute façon trop occupé sur la tournage de Camille redouble de Noémie Lvovsky, chez laquelle il tenait le premier rôle. Malgré une autre concurrence, celle de robes et de tailleurs, le pull 90’s su rester the star de Laurence Anyways. En laine, porté trop large, auréolé de gigantesques motifs brodés, il a quelque chose d’unique, d’indépassable, de typique de cette décennie. Chez Reygadas aussi, le père de famille (Adolfo Jimenez) est affublé d’un beau spécimen de ces pull-overs nineties mais, dans son cas, il reste difficile de savoir si l’homme vit avec son temps ou s’il est complètement ringard. Un indicateur temporel pourrait être une réplique de son fils, lorsqu’il mentionne « Buzz l’éclair ». Or, là encore, cela n’aide pas à savoir si le film se déroule en 1995 (sortie de Toy Story), en 2000 (Toy Story 2) ou même en 2010 (Toy Story 3). Plus tard, l’enfant mentionne un autre héros qu’il adore : Spider-Man. Ce qui n’aide pas franchement plus…

 

Les modèles ?

Denis Lavant et des jeunes glaswegiens

Ce qu’ils portent ?

Du tape-à-l’oeil à tout prix

Pour qui ?

Leos Carax et Ken Loach

 

 

Spider-Man chez Reygadas ? C’était déjà fort. Or, le célèbre héros s’est incrusté insidieusement non pas dans un, mais dans deux films de la Compétition cette année. Après cette mention dans les dialogues de Post Tenebras Lux, l’homme-araignée s’est invité dans le défilé de personnages excentriques de Holy Motors. Le protagoniste du film de Leos Carax, Monsieur Oscar, a une dizaine de rendez-vous dans sa journée de travail, pour autant de rôles à interpréter. Durant l’un d’eux – ou est-il seulement lui-même à cet instant ? – il abat froidement un homme, assis à la terrasse du Fouquet’s. Pour mener à bien cette expédition punitive, il porte un masque intégral, rouge et bleu. Quand Oscar se fait justicier, il se transforme en Spider-Man. La leçon à retenir : peut-être est-ce en se voulant le moins discret possible que l’on peut devenir invisible ? Les quatre amis de La part des anges, le Prix du jury 2012 signé Ken Loach, semblent eux aussi l’avoir parfaitement saisi. L’un d’entre eux le reconnait avec amertume : « Si on s’habille en survet’, on ressemble à des voyous mais si on met un costard, on pense qu’on se rend au tribunal ». En découle une solution imparable : enfiler des kilts écossais traditionnels pour commettre leurs méfaits… incognitos.

 

Les modèles ?

Des jeunes new-yorkais

Ce qu’ils portent ?

Des chaussures (ou pas)

Pour qui ?

Michel Gondry et Adam Leon

 

 

Reste à savoir quelle bande de jeunes, parmi celles de La part des anges, de Gimme the Loot et de The We and the I, serait la plus embêtée si l’on venait à leur dérober leurs habits ? Sans kilts, les fesses à l’air, les grands ados du Loach seraient bien contrariés. Mais peut-être même moins encore que les gamins du Bronx, sortis des films d’Adam Leon et de Michel Gondry, lorsqu’on leur vole leurs chaussures. Dans Gimme the loot, présenté au Certain Regard, chiper des pompes est le pire des crimes. The We and the I, qui faisait l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, débute par un « crime » analogue. Le soulier volé est ensuite jeté contre un bus, mais il reste scotché à la fenêtre… grâce à un chewing-gum collé sous la semelle. C’était moins une.

Le festival est terminé, cette chaussure et le reste de la collection Cannes 2012, peuvent être rangés. Après les tenues de scouts de Moonrise Kingdom, les habits rétro-kitsch de Laurence Anyways, Camille redouble et Paperboy, l’improbable burqa d’Eva Mendes dans Holy Motors et les kilts des Anges… vivement la collection Mai 2013 !