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Deux enfants coincés sur une île, un scout orphelin et une petite bourgeoise, fuient leur groupe respectif pour entamer une fugue amoureuse : encore un film d’évasion pour Wes Anderson, où le monde et sa représentation miniature se confondent toujours, mais avec cette fois de vrais enfants dans le rôle des grands enfants habituels.
Cannes 2011 s’était achevé sur la Palme d’Or décernée au dernier film de Terrence Malick, The Tree of Life. Cannes 2012 s’ouvre sur ce qui pourrait s’apparenter à une variation autour de son premier film, Badlands. Du Royaume du Lever de Lune, aux Mauvaises Terres, il n’y a semble-t-il qu’un pas.
Comme Badlands, Moonrise Kingdom est un film de cavale, un vrai, avec un couple de fuyards dépareillé (le paria et la petite bourgeoise) digne des Sissy Spacek et Martin Sheen vus chez Malick, des poursuivants armés, du sang, un ballon gonflé et lâché dans les airs, une danse improvisée au cœur de la nature sauvage, une vie conjugale esquissée au milieu des bois. Sauf qu’ici, le couple est un couple d’enfants, les scouts ont remplacé les policiers, la fuite passe d’îles en îles et reste toujours contenue à l’intérieur de petits bouts de terre. Moonrise Kingdom, ce pourrait être du Malick en modèle réduit, la maquette d’un film plus grand. Même la musique originale d’Alexandre Desplat sonne comme un pastiche des compositions de Carl Orff entendues dans Badlands.
Moonrise Kingdom n’est heureusement pas que ça. Peut-être même n’est-ce pas du tout ça, même si c’est difficile à croire. Peut-être Anderson et Malick partagent-ils simplement la même approche fondamentale de l’évasion et de la geste fondatrice. Suzy et Sam, les deux jeunes héros de Moonrise Kingdom, marchent dans les pas des Amérindiens qui les ont précédés (le garçon se met en tête de suivre le parcours de l’une de leurs anciennes pistes). Ce sont des Lewis et Clark des sixties (l’action se déroule en 1965), des nouveaux explorateurs en quête de terre promise, non pour y créer les Etats-Unis, mais un pays dont le plus proche modèle serait celui des enfants perdus de Peter Pan. Moonrise Kingdom est le film de Wes Anderson le plus préoccupé par les mythes de toutes sortes (Sam ressemble à Davy Crockett, Bill Murray se montre capable de faire décoller une tente de camping du sol, comme le grand méchant loup le fait avec la maison des trois petits cochons) et la mythologie américano-biblique du recommencement. Ici, on traverse les bras de mer pour recommencer sa jeune vie, jusqu’à ce que le déluge vienne faire table rase de tout et pose les bases d’un monde nouveau et meilleur.
Il fallait plonger au plus profond de l’océan pour trouver un sens à sa vie dans le bien nommé La vie aquatique. Dans Moonrise Kingdom, c’est l’océan qui remonte et recouvre. Le Déluge est annoncé dès le début du film, puis préfiguré par une séquence de toute beauté, où des enfants jouent sur la scène d’une église un spectacle dédié à Noé. C’est à ce moment que Sam rencontre Suzy, la fille alors déguisée en corbeau noir. Elle n’est pas dans le bâtiment, c’est Sam qui se lève, remonte la file des jeunes figurants grimés en lions, en éléphants et autres bêtes, jusqu’à la loge qu’elle partage avec les autres filles oiseaux. Il a répondu à un appel invisible et inaudible. Il la fixe, elle, lui parle à elle et à elle seule, et va lui promettre l’évasion. Difficile de ne pas considérer ce moment comme un parangon du cinéma de Wes Anderson. D’abord le tableau, sur la scène de l’église, la vignette animée, puis le chapelet de figurines, ces adultes modèles réduits qui, ainsi déguisés, ressemblent aux personnages de Fantastic Mr Fox, puis le monde, excitant, inquiétant, ouvert. Sous l’image, la plage. Et tout au bout peut-être, un royaume merveilleux qui ressemble davantage à une promesse qu’à un état de fait. Car la vie, même pour Wes Anderson, n’est pas un conte de fées.
MOONRISE KINGDOM (Etats-Unis, 2012), un film de Wes Anderson, avec Jared Gilman, Kara Hayward, Edward Norton, Bruce Willis, Frances McDormand, Bill Murray, Tilda Swinton. Durée : 94 min. Sortie en France le 16 mai 2012.