SHAME de Steve McQueen

Michael Fassbender dans le rôle d’un boulimique de sexe, s’assumant de moins en moins : après Hunger, Caméra d’Or à Cannes en 2008, l’anglais Steve McQueen réalise un second film lyrique, mais difficile à embrasser sans réserve.

Shame relève de la performance. C’est sa limite mais aussi sa force, parce que le terme se considère ici selon son acception artistique. Steve McQueen vient de l’art contemporain et cela se voit dans sa manière de concevoir le cinéma, non pas en scènes, mais en blocs quasi-autonomes. Quel rapport avec l’art contemporain ? Il semble que pour McQueen, chaque bloc peut se suffire à lui-même, s’envisager comme une installation et constituer un défi en soi. Un exemple simple : Brandon, le sex-addict interprété par Michael Fassbender, a un rencard au restaurant avec une secrétaire rencontrée à son travail. La caméra reste loin de la table du couple, en plan-séquence, cadre fixe, au début de leur conversation. Là, il y a deux écoles de spectateurs, pas nécessairement incompatibles : soit on estime que cette distance sert à préserver la pudeur du moment, soit on la considère comme une contrainte injustifiée que se serait infligé le réalisateur, pour le simple plaisir d’avoir à la surmonter. Pour avoir une idée de la chose, il faut s’imaginer Usain Bolt en train de courir à cloche pieds, simplement parce que la manière conventionnelle serait devenue trop facile pour lui.

McQueen n’est pas au cinéma ce que Bolt est au sprint, mais son orgueil et sa volonté de vaincre avec peine, afin de triompher dans la gloire, sautent aux yeux. En filmant les prémisses du fameux rencard de cette manière, il ménage un espace considérable entre lui et ses personnages, pour permettre à un serveur trop zélé d’entrer régulièrement dans le champ et de déstabiliser les acteurs. Une fois cette contrainte surmontée par tous, comédiens et réalisateur, une nouveau défi s’impose : Carey Mulligan, la soeur de Brandon dans le film, en gros plan fixe, chantant New York New York dans une réorchestration spleen ; un footing nocturne filmé en travelling latéral sur fond de musique classique ; etc. Ces images sont indéniablement belles et troublantes. Notre retenue à leur égard tient au fait que leur créateur semble trop conscient de cette beauté, parfois au détriment de leur sens, confus. C’est le deuxième hiatus de Shame : son éventuel discours. Eventuel, parce que rien ne permet d’affirmer que le film cherche à raconter davantage que le destin de son protagoniste.

Comment s’empêcher toutefois de tirer des enseignements de cette histoire, compte-tenu de son sujet scabreux ? Que faut-il déduire de cette reformulation perverse de Fenêtre sur cour, ces moments incroyables où Brandon lève les yeux vers les buildings new-yorkais, pour découvrir des couples en plein coït ? Ses vignettes pornographiques déployées sur les murs de la ville illustrent-elles le stupre régnant dans la cité américaine, la city de Sex and the City, ou le regard du héros ? Et ce héros justement, est-il un jouisseur qui ne s’assume plus, un malade, une victime ou un Christ du sexe, destiné à endurer tous les péchés de chair auxquels poussent la mégalopole et l’accès facilité à toutes les luxures ? Pour le dire autrement, est-il davantage Bret Easton Ellis ou Michel Houllebecq ? Il est impossible de répondre définitivement à ces questions, même si l’épilogue, périlleux et insatisfaisant, semble vouloir le faire et confirme, après Hunger, l’inclination de McQueen envers la souffrance éprouvée volontairement par un seul, au nom de tous les autres. Shame n’en sort pas diminué pour autant. Il y gagne même en singularité.

PS : Steve McQueen a-t-il vu Flesh, court-métrage mêlant pornographie et attentats du 11 septembre ? On serait tenté de le croire. Voici donc ce film réalisé par Edouard Salier et produit par Nicolas Schmerkin (Logorama).

SHAME (Grande-Bretagne, 2011), un film de Steve McQueen, avec Michael Fassbender, Carey Mulligan, James Badge Dale, Nicole Beharie. Durée : 99 min. Sortie en France le 7 décembre 2011.

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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