LOVE AND BRUISES de Lou Ye
La passion entre une étudiante chinoise (Corinne Yam) et un français (Tahar Rahim), manutentionnaire sur les marchés : le cinéaste Lou Ye s’exile à Paris, la ville de la Sorbonne et du Dernier Tango, pour suivre un cours de géopolitique par le sexe.
Lui s’appelle Matthieu. C’est Tahar Rahim, l’acteur prodige d’Un Prophète. Il a visiblement pris le temps de se faire à sa notoriété, puisqu’il trouve en cet ouvrier des marchés son premier rôle principal depuis deux ans. Son visage semble plus arrondi – peut-être est-ce simplement l’effet de la barbe – mais dans un film dont le titre en français donne « Amour et ecchymoses », l’ex-taulard de Jacques Audiard n’a rien d’un nounours. Tout le contraire. Matthieu serait même un chasseur tendance Guerre du feu. La femme, il l’assomme, la nourrit et la traîne dans un coin pour la culbuter, avant de la laisser s’échapper, tôt ou tard.
Cette nature primitive, Lou Ye l’illustre en deux plans. Dans le premier, Matthieu porte un poteau sur son épaule, à l’horizontale, et en se retournant, frappe sans le faire exprès Hoa (Corinne Yam), une jeune chinoise qui vient de se faire larguer comme une moins que rien par son mec du moment. Ce poteau ne devrait être rien d’autre qu’un poteau, mais le voilà qui définit le diamètre d’un cercle, dont le centre est Matthieu, un cercle à l’intérieur duquel les femmes tombent comme des mouches et se font mal. Il n’y aurait plus qu’à les ramasser si – voici le fameux deuxième plan – Matthieu n’avait, depuis son passage à l’armée, la paume d’une main traversée par une grosse balafre qui l’empêche de fermer le poing. Si une fourchette glisse entre ses doigts, comment espérer qu’une femme n’en fasse pas autant, lui qui n’a d’autres moyens de séduction que la force du poignet ? Il faut attendre quelques séquences avant d’accorder une valeur symbolique à l’escarre cisaillant la ligne de vie de Matthieu, rustre anti-intello pour qui le souvenir d’un amour n’existe pas s’il n’implique pas une scarification quasi-tribale (il est amusant de constater que le personnage travaille et transpire Place Monge, dans le Quartier Latin, à deux pas des universités). Blessure de guerre et blessure sentimentale se confondent.
Ce type n’appartient pas à notre époque, et pourtant, il ne pourrait venir d’aucune autre parce que l’histoire qu’il va vivre avec Hoa appartient à notre siècle. C’est moins le lieu – Paris la cosmopolite, aussi grise ici qu’elle étincèle dans le Minuit de Woody Allen – que le temps qui importe, celui de la circulation des personnes, des cultures. Le rustre d’une cité du Nord de la France et l’intellectuelle pékinoise peuvent se rencontrer et vivre une passion. De là à ce que ça fonctionne, c’est une autre histoire.
Lou Ye mélange de l’huile à de l’eau. Il les agite à coup de coïts, brefs et désagréables, comme il l’a fait dans Une jeunesse chinoise (2006), mais jamais l’amalgame ne dure. Surtout quand chacun des personnages charrie une histoire qui le dépasse : pour Matthieu, un encombrant passé personnel, et pour Hoa, une mémoire collective ancestrale, exprimée de manière inattendue et belle, lorsque la jeune femme, de passage à Pékin, se fait l’interprète de dissidents et qu’elle semble faire sien leur discours. A l’intérieur de la Chinoise, surnommée ainsi par Matthieu et les siens, comme si elle était la seule habitante de son pays, résonnent les voix de ses compatriotes.
L’individualité d’un coté, le collectif de l’autre : le français qui l’épousera pourrait bien faire la connaissance de tout un peuple. Le spectateur de Love and Bruises, lui, pourrait bien se demander si, en matière de géopolitique, il y a une grande différence entre les cours universitaires montrés dans le film et ses scènes de sexe.
LOVE AND BRUISES (France-Chine, 2011), un film de Lou Ye, avec Tahar Rahim, Corinne Yam, Jalil Lespert, Vincent Rottiers. Durée : 100 min. Sortie en France le 2 novembre 2011.