BRAWL IN CELL BLOCK 99 : Vince Vaughn on fire
Pour sauver son mariage et devenir enfin père, Bradley Thomas a accepté de transporter la dope et l’argent d’un narcotrafiquant. Le jour de son arrestation marque pour lui le début d’un parcours du combattant afin de sauver celles qu’il aime : après Bone Tomahawk, S. Craig Zahler traite avec un flegme égal moments dramatiques et ultraviolence, grâce à la composition zen de Vince Vaughn, impressionnant en Golem déterminé à accomplir sa mission.
Il faut attendre pas loin d’une heure pour que Brawl in Cell Block 99 ne justifie son titre. Heureusement, tout ce qui précède se montre aussi satisfaisant que la perspective d’une bonne baston en zonzon. On est alors en plein drame : un dépanneur auto licencié sous nos yeux, son épouse adultère sur le point de le quitter ; une vraie chronique de la lose. S. Craig Zahler ne va pas aussi loin dans le social que David Mackenzie avec Comancheria, film de braquage ET autopsie d’un Texas en ruine. Brawl in Cell Block 99 est un drame social PUIS un film d’exploitation carcéral, pas les deux en même temps. Le passage d’un registre à l’autre est un poil caricatural, la faute à un Don Johnson encore habité par ses rôles dans Django et Cold in July, ici en directeur régnant sur sa prison comme le diable sur ses âmes damnés… Pas grave. Zahler met en scène avec le même calme, la même patience, la vie d’homme libre de son héros, que celle d’après, quand pour sauver sa femme et son bébé à naitre, il doit céder au chantage d’un narcotrafiquant et tuer un détenu. Ce zen, il le doit à Vince Vaughn qui trouve ici le rôle de sa vie.
Massif, le crâne rasé et la nuque tatouée, sa composition n’a rien à voir avec celle d’Edward Norton dans American History X, comme on aurait pu le croire. Les deux personnages n’ont pas de point commun, si ce n’est une sacrée carcasse ; Vaughn est aussi placide que Norton était nerveux, sans que son personnage ne soit un psychopathe à la folie intériorisée, de ceux que tous les voisins s’accorderaient à trouver très discret. Zahler se sert de lui pour lester son cadre comme le ferait une ancre pour un bateau. A travers Vaughn, il imprime un tempo lent et régulier, toujours égal, dans les crises conjugales comme dans les combats à mort.
Victime de son physique qui constitue une attraction à lui seul, Bradley finit par donner aux autres (et à nous) ce pour quoi le Bon Dieu lui a donné ce corps, accomplissant sa tâche sans passion, parce qu’on ne lui laisse rien d’autre à faire. Il faut exciter ce molosse qui s’est très bien dressé tout seul, pour qu’il attaque enfin.
Parlons-en de ces combats, puisque le film nous les vend. L’inertie du début donne au protagoniste l’élan nécessaire à son évolution en tueur déterminé à accomplir sa mission coûte que coûte. Si le film fait un commentaire sur la société américaine, il est d’ailleurs probablement là, dans la trajectoire de ce héros qui devient violent parce que tout le monde attend ça de lui, du garagiste qui le vire au mafieux qui le fait chanter, en passant par le maton qui voudrait le voir rejoindre son cercle de boxeurs. Victime de son physique qui constitue une attraction à lui seul, Bradley finit par donner aux autres (et à nous) ce pour quoi le Bon Dieu lui a donné ce corps, accomplissant sa tâche sans passion, parce qu’on ne lui laisse rien d’autre à faire. Il faut exciter ce molosse qui s’est très bien dressé tout seul, pour qu’il attaque enfin. Son parcours dans le monde carcéral, d’une prison de minimum sécurité étonnamment paisible, jusqu’aux tréfonds moyenâgeux d’un Guantanamo domestique, ressemble à une construction en niveaux digne d’un jeu vidéo. Un jeu à la finalité ambivalente puisqu’il s’agit d’un qui perd gagne. Le héros a ses princesses à libérer en point de mire, mais pour cela, il doit taper sur des cibles faciles, puis sur d’autres plus coriaces, continuer avec des handicaps, jusqu’au boss final. Voilà le programme d’anti-redressement pour un type qui avait l’audace de ne pas hausser le ton le jour de son licenciement et qui démontait à mains nues la voiture de sa femme, hors de la vue de cette dernière, plutôt de se risquer à laisser parler sa colère en sa présence. La prison comme école de la violence, là pour punir les pas suffisamment mauvais garçons qui ont encore des principes…
Brawl in Cell Block 99 partage plus ou moins la même trame que Man on Fire, mais remplace la Némésis vengeresse par un Golem au visage impavide mais au regard non bovin ; ce n’est jamais facile d’obtenir l’un sans l’autre. Dans sa gestuelle comme dans son phrasé, Vince Vaughn paraît appliquer la méthode de l’Actors Studio à l’art du passage à tabac. Zahler peut privilégier sans crainte les plans larges et réduire au minimum les cuts : c’est à la fois un bon acteur et un bon combattant qu’il filme, dont il faut rester à distance raisonnable, sans avoir à faire du gore pour le gore (certains inserts – dont un arrachage de visage probablement inédit au cinéma – sont tout de même particulièrement sauvages et rendent la violence répugnante). Reconnaissons que cette force tranquille qui n’a rien de mitterrandienne est impressionnante.
BRAWL IN CELL BLOCK 99 (Etats-Unis, 2017), un film de S. Craig Zahler, avec Vince Vaughn, Jennifer Carpenter, Don Johnson, Udo Kier. Durée : 132 minutes. Sortie en France indéterminée.