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Du bon, du moins bon, mais surtout une Palme d’Or parmi les films vus par nos soins et non-chroniqués dans nos colonnes. Une fausse famille sri-lankaise dans une banlieue française, des néo-nazis qui lâchent les chiens sur des punks, Philippe Garrel en noir et blanc, un typhon, des types qui tirent à l’arme lourde sur un mannequin représentant Obama : passage en revue et en notules de 12 films présentés à Cannes, de la Compétition à l’ACID, en passant par Un Certain Regard, La Quinzaine des Réalisateurs et la Semaine de la Critique.
DHEEPAN de Jacques Audiard (Compétition). Du lauréat de la Palme d’Or, vous savez déjà tout, y compris son dénouement qui mérite la Palme-de-la-fin-de-film-la-plus-rapidement-révélée-sur-les-réseaux-sociaux-après-une-projection-presse-cannoise. Elle fut révélée cette fin parce qu’elle n’est pas sans poser quelques problèmes susceptibles de brouiller tout ce qui la précède. Nous ne vous la raconterons pas, nous nous contenterons d’exprimer davantage de réserves que nos confrères à son égard : à nos yeux, aussi inattendu soit-il, le changement de braquet de Dheepan dans son dernier quart d’heure nous intéresse non pour ce qu’il peut avoir de suspect idéologiquement, mais parce qu’il fait du protagoniste un pur inconnu. Dheepan, immigré sri-lankais venu en France avec une femme et une fille pour jouer les rôles d’épouse et de progéniture, que l’on a suivi de son pays d’origine jusqu’au nôtre, que l’on a vu passer par toutes les émotions pendant 90 minutes, apparaît soudain pour un type que l’on ne connaissait pas, dont on ne soupçonnait pas les ressources. C’est fort. Le reste en revanche s’avère solide, comme Audiard en a l’habitude, sans jamais être davantage que ça. La faute à un environnement dramatique dont on peine à déceler la part d’abstraction et de vérité (une banlieue si déconnectée du monde qu’elle évoque un ilot flottant au-dessus de la France ; trop marquée pour n’être qu’un décor, trop schématique pour être convaincante) et aux obsessions d’Audiard (l’accomplissement dans la violence), moins digestes qu’auparavant dans ce contexte. L’originalité du sujet et l’interprétation des deux acteurs principaux compensent ces défauts, en partie.
GREEN ROOM de Jeremy Saulnier (Quinzaine des Réalisateurs). Green Room ne convainc personne chez nous, puisque le camp des défenseurs de Blue Ruin le trouve bien inférieur, et que ceux qui n’aimaient pas Blue Ruin considèrent ce nouveau film divertissant, sans plus. Saulnier délaisse le sérieux de son premier long-métrage et compose un jeu de massacre bien plus léger, inconséquent, électrisé ici et là par quelques bonnes idées sauvages mais qui reste dans l’ensemble tout à fait anecdotique. Et très inférieur au modèle du genre (ici explicitement cité, c’est pour ça qu’on y pense assez fort) Massacre à la tronçonneuse. On sent chez Saulnier la possibilité d’un style, basé sur l’ambiguïté de ton, l’absence de règles dans l’enchaînement des événements, mais ce n’est pas suffisamment maîtrisé.
HRUTAR (BÉLIERS) de Grimur Hakonarson (Un Certain Regard). Hrutar a grillé la politesse à tous les grands noms réunis cette année dans sa section (Kurosawa, Porumboiu, Kawase, Weerasethakul, Mendoza… ces trois derniers n’apparaissant même pas au palmarès) pour obtenir de manière surprenante le Prix Un Certain Regard. Non pas que Hrutar soit un mauvais film, loin de là. On y trouve tout ce qui fait le bon cinéma, l’articulation entre le drame intime (la haine immémoriale de deux frères) et la tragédie globale (une maladie qui contraint à l’abattage de tous les troupeaux de moutons d’une vallée), entre un décor majestueux et sa mise en scène solide, entre la gravité et l’humour. Simplement, Hrutar reste une œuvre d’une ampleur modeste, qui ne bouleverse rien, à commencer par son cadre narratif dans lequel il se maintient sagement. Le film est dès lors plus proche d’un moyen-métrage étiré pour atteindre la barre des 90 minutes, que d’une œuvre réellement mémorable.
KRISHA de et avec Trey Edward Shults (Semaine de la Critique). Ce premier long-métrage faisait un beau candidat à la Caméra d’Or… pendant sa première heure. La démonstration de mise en scène à laquelle on assistait alors faisait voler en éclats le caractère très codifié du synopsis – Krisha, mouton noir de sa famille, y revient pour Thanksgiving après de longues années de mise à l’écart. Elle est vieille, solitaire, déséquilibrée et à fleur de peau, quand tous autour d’elle sont accomplis, fertiles, beaux et soudés. À un moment un personnage déclare « les gens, comme les animaux, ont un 6ème sens », et on peut se dire devant Krisha que les films aussi. Pendant une heure, donc, Shults fait vivre le conflit larvé entre ses protagonistes de manière organique, par l’intensité brute de ses plans-séquences étirés et de ses montages heurtés. Puis son film se met à trier le bon grain de l’ivraie parmi ses personnages, à dresser un mur entre les bons et les mauvais, et d’un coup le charme s’évapore. Le fait que ce dénouement soit brusqué, et interrompu net, n’aide pas à le considérer avec plus d’estime que lui-même n’en montre pour son anti-héroïne.
L’OMBRE DES FEMMES de Philippe Garrel (Quinzaine des Réalisateurs). Dans un Paris d’aujourd’hui en noir et blanc où un couple est déchiré par des forces émotionnelles qui les dépassent, Philippe Garrel fait du Phillipe Garrel. « Haters gonna hate », tant pis pour eux, ils passeront à côté d’un film porteur de beaucoup de vérités sur les rapports entre les êtres, et entre les sexes (Garrel charge crûment contre les hommes, ces salauds qui abusent de la bonté que les femmes leur accordent), empreint de beauté et de raffinement dans sa réalisation, quand bien même il est d’une sécheresse puissante dans son propos (le mélo est réduit à l’os). Mais cette sécheresse est à double tranchant : comme pour son précédent film, La jalousie, il est dommage que Garrel coupe court si tôt à son récit, ne prolonge pas le parcours de ses personnages (surtout la troisième pointe du triangle amoureux, incarnée par Lena Paugam). Le film sort en salles le 27 mai.
MACBETH de Justin Kurzel (Compétition). Macbeth a clos la Compétition officielle du Festival en catimini, malgré son casting glamour unissant Michael Fassbender et Marion Cotillard en Lord et Lady Macbeth. Pour son deuxième long-métrage (après Les crimes de Snowtown), Kurzel est surtout occupé à gonfler les muscles pour montrer qu’il est à la hauteur de la tâche qu’il s’est assignée. Mais derrière la mise en scène en surchauffe, dont les effets – musique tapageuse, découpage nerveux, filtre rouge-orangé constant pour les scènes de guerre – finissent par s’annuler entre eux, on ne perçoit ni les intentions poursuivies par le cinéaste en procédant à cette adaptation, ni la cohérence dans ses choix pour la mener à bien. Fortement fidèle à la pièce par certains aspects et en rupture avec le théâtre par d’autres, ce Macbeth sacrifie trop de choses (à commencer par le personnage de Lady Macbeth) et n’en propose pas assez en remplacement pour convaincre pleinement.
MARYLAND d’Alice Winocour (Un Certain Regard). La réalisatrice d’Augustine s’essaye au thriller parano-politico-posttraumatique (oui, tout en même temps) à l’américaine, mais se rate dans les grandes largeurs, principalement parce qu’il traite de manière bien trop superficielle chacun de ces pans. La conspiration politique, par exemple, se résume aux bribes d’une conversation (où il est question de corruption venant du Qatar) et à une vidéo de l’EI présentée hors de tout contexte, dans un reportage télé regardé par les personnages… Bien loin de ses modèles d’outre-Atlantique, Maryland n’est qu’un médiocre téléfilm sans idée ni envergure, mou et creux, dont l’on ne retient que l’ennui qu’il génère.
SONGS MY BROTHER TAUGHT ME de Chloé Zhao (Quinzaine des Réalisateurs). Depuis The Tree of Life, l’influence de Terrence Malick sur ses pairs ne faiblit plus. Elle peut toutefois s’avérer plus gênante quand la citation est clignotante comme chez Joachim Trier lors d’une scène isolée de Louder than Bombs (l’enfant, la mère, le drap, le vent…) que lorsqu’elle est diffuse comme c’est le cas ici, les grands espaces aidants. Avec ce premier film, Chloé Zhao ne fait pas montre d’une grande originalité, ni dans le filmage donc, ni même dans son intrigue reposant sur l’hésitation d’un ado à quitter sa bourgade au grand dam de sa petite soeur (on pense fortement à Summertime de Matthew Gordon). Ce qui n’empêche pas néanmoins de trouver les personnages très attachants. Mais c’est le contexte dans lequel évoluent les personnages qui offre à Songs… un certain relief, décrivant le quotidien de la réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du sud, et plus particulièrement l’impact de la prohibition de l’alcool sur ses habitants.
TAKLUB de Brillante Mendoza (Un Certain Regard). Mendoza montre les Philippines à genoux après le passage du typhon Haiyan à la fin de l’année 2013, à travers plusieurs destins centrés autour de Bebeth (Nora Aunor, immense star du cinéma local). Ses images sont intenses et déchirantes, par ce qu’il filme (par exemple des visions de cargos échoués au milieu des terres) et par son talent à les filmer, avec une urgence évidemment redoublée ici. Néanmoins le film ne sort pas de l’état de choc causé par la catastrophe. On peut difficilement lui en faire le reproche, mais cela le limite (les histoires qu’il raconte restent des bribes, du coup les personnages restent des silhouettes) et le met en-dessous de ce que Mendoza a pu faire auparavant. En-dessous aussi du documentaire de Spike Lee sur Katrina, qui parvenait à combiner film venant des tripes de son auteur, et regard plus distancié qui élève les émotions et la réflexion.
THE OTHER SIDE de Roberto Minervini (Un Certain Regard). Ce documentaire nous fait pénétrer dans une communauté recluse du fin fond de la Louisiane. White trash et l’assumant crânement, abandonnées par toutes les institutions (même la police et la justice semblent ne plus venir les chercher pour les emmener purger leurs peines de prison), les âmes qui ont ouvert leur porte au réalisateur sont damnées sans espoir de rédemption. L’un d’eux nous apparaît même en ouverture du film à la manière d’un démon rejoignant le monde des hommes. Ce monde, situé de « l’autre côté », ressemble à un prequel de Mad Max, avec ses maisons en ruine, l’intoxication permanente de ses habitants à l’alcool et à la drogue, quand ils ne se regroupent pas en milices se préparant à la guerre civile et s’entraînant au tir sur des mannequins à l’effigie d’Obama. Minervini nous plonge en immersion dans le quotidien de ces bannis, sans les juger, en retour de la manière dont eux se comportent comme s’il était invisible. L’expérience est sans pareil, déroutante.
LA VANITÉ de Lionel Baier (ACID). La vanité est tout ce que Les grandes ondes, le premier long-métrage de Lionel Baier, n’était pas – et c’est bien dommage, puisque ce dernier était riche, généreux, grisant. Il embrassait la révolution de tout un pays, La vanité se réduit à la volonté de suicide assisté d’un homme en phase terminale, dans la chambre d’un motel, entouré de son assistante et de son témoin. Pour donner corps à ce mince sujet, le film développe un vaudeville laborieux puis, une fois celui-ci épuisé, se lance dans une suite de retournements de situation créant certes de belles scènes (un flashback muet, un rêve) mais aussi un récit brouillon et peu convaincant. A la fois chrétien rigide (le suicide n’est pas une solution, la famille c’est sacré, l’homosexualité c’est quand même bizarre) et étouffe-chrétien (statique, laborieux).
VOLTA A TERRA de João Pedro Placido (ACID). Ce documentaire est un Profil paysan du Portugal, qui suit au fil de l’année la vie de la poignée d’agriculteurs vivant encore dans le village de montagne de Uz. L’ombre bienveillante de Raymond Depardon veille sur le film, celle de Miguel Gomes également (un bal de village façon Ce cher mois d’août, l’influence lointaine de la Troïka), mais Volta a Terra vole surtout de ses propres ailes, grâce à la beauté visuelle et émotionnelle qui se dégage de ses images. Placido signe des plans discrètement superbes, et fait nôtre le quotidien de ses personnages, pour qui le bout du village constitue le bout du monde. Ce qui marque également est l’égalité de traitement à l’image entre les hommes et les animaux, qui découle naturellement de leur qualité de résidents à part égale des lieux mais contraste avec les (mauvaises) habitudes du cinéma.
Le 68e Festival de Cannes s’est déroulé du 13 au 24 mai 2015.