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Devenue princesse de Monaco, l’ancienne star hollywoodienne doit assumer son nouveau statut, alors qu’un conflit oppose son glorieux Rocher à la France : Grace de Monaco voudrait raconter la mue d’une ancienne fille du peuple en souveraine, mais n’en fait que la porte-parole du non à l’impôt, au nom de l’amour.
Faire l’ouverture du Festival de Cannes est un cadeau parfois empoisonné. C’est le cas pour Grace de Monaco. La fée Harvey Weinstein penchée sur son berceau était déjà malveillante à son égard, à vouloir la défigurer – supposait-on – à coups de ciseaux. Non seulement il s’agissait de réparation, pas de mutilation, mais la nécessité de cette réparation éclate aux yeux de tous. Surtout aux yeux qui se seraient détournés du film s’il n’avait été la tête de pont 2014 du plus grand festival du monde. Grace de Monaco équivaut à une rédaction ratée pour un élève, qu’un prof sadique montrerait à ses écoliers, ainsi qu’à ceux des autres classes. Forcément, à la récré, on ne parle que de ça, et voilà une péripétie devenue phénomène.
Grace de Monaco ne doit pas se faire éreinter simplement parce qu’il est là où il ne devrait pas être. Répertorier ses défauts intrinsèques suffira. A commencer par le plus évident : contrairement à ce qu’indique son titre, il n’est pas question de biopic. Considérant la lassitude grandissante vis-à-vis du genre, ce devrait être un soulagement, mais ça ne l’est pas. Au récit d’une vie intrigante est préféré le conflit politique opposant Monaco à la France en 1962, le Prince Rainier et le président De Gaulle. Vu d’aujourd’hui, c’est ridiculement petit (Rainier alias « Ray » le dit : « si une guerre éclate, ce sera la plus courte de l’Histoire ») et à la limite de la provocation. D’abord parce qu’au cours des tractations entre la principauté et la France, il est fait mention de la Guerre d’Algérie et que le parallèle ainsi suggéré entre la situation du « département français » (Grace se trompe quand elle parle de « colonie ») et celle de Monaco est déplorable. Ensuite parce que l’enjeu de l’affrontement est le paiement ou non d’un impôt à la France par les monégasques (notamment pour enrayer la fuite des entrepreneurs français), faisant ainsi de la résistance du monarque et de ses sujets un combat pour la défense d’un paradis fiscal.
Il n’y pas de bonne période pour traiter sans ironie un tel sujet. La nôtre s’y prête encore moins, entre affaire Cahuzac et austérité. C’est inopportun, même en rappelant qu’à l’époque Monaco jouissait davantage d’un rang que de la grande fortune censée lui être associée. En préférant l’Histoire au récit d’une vie, Grace de Monaco s’aventure sur un terrain politiquement miné, autant que la Marie-Antoinette de Coppola, sans le style. Pas de « pauvre petite fille riche » ici par contre – et même, on a coutume de dire que l’argent ne fait pas le bonheur, alors pourquoi n’aurait-on pas le droit de raconter des histoire de gens riches et malheureux ? – mais une assimilation désolante de Grace à une Jeanne d’Arc anti-taxe, défendant les acquis de Monaco au nom de l’amour (son discours lors du bal de la Croix Rouge ferait passer « L’amour est la solution » de John Lennon pour un sommet de misanthropie). C’est navrant compte-tenu du frémissement ressenti lors de la meilleure scène du film : quand le confesseur fait comprendre à notre actrice retirée des plateaux qu’elle n’a pas renoncé à jouer, mais qu’elle a accepté de jouer un seul et même rôle toute sa vie, celui de princesse.
Le déclic s’opère pour l’héroïne, pas pour le film qui s’entête à toujours choisir entre deux voies la moins pertinente, à ne jamais établir d’équivalence claire entre la facticité d’un tournage et celle d’un palais royal – sauf à l’occasion d’une transparence lors d’une virée en décapotable, contrechamp de la scène d’ouverture du film située dans un studio. Il y a bien une tentative, mais elle dévalorise Nicole Kidman. C’est lorsqu’un mentor, chargé de lui enseigner le maintien princier, lui indique une émotion, avec juste un mot écrit sur un carton, et qu’elle doit la jouer. L’actrice Grace Kelley et la princesse Grace de Monaco ne font qu’une, certes, mais qu’une avec le singe savant, comme si le jeu d’un comédien ne résultait en général que du dressage. Grace de Monaco entraîne dans sa chute Nicole Kidman, forcée de grimacer péniblement alors que son visage semblait la seule bouée de sauvetage possible au milieu d’une mer d’acteurs à postiche. Aux côtés de comédiens grimés pour ressembler à leurs modèles (Hitchcock, De Gaulle, Rainier),elle seule ne porte pas de masque, tout simplement parce que son visage, figé par le botox ou le lifting, est un masque. Femme caméléon au milieu de types ressemblant tous à des faussaires, on la constate fausse par nature. Quand Grace/Nicole se démaquille, rien ne change sur sa face. Il pourrait y avoir de la beauté dans l’image de l’actrice Grace Kelly vouée à jouer à vie le même rôle, au point de garder la même expression en coulisses et sur la scène mondaine. A la place, il n’y a que l’image désolante de Nicole Kidman, à qui l’on demande explicitement de mimer la joie, la colère ou la sérénité, et qui ne peut plus. On ne voit que ses yeux crier de douleur, comme s’ils se rendaient compte qu’ils étaient sans visage.
GRACE DE MONACO (France, USA, Belgique, Italie, 2014), un film d’Olivier Dahan, avec Nicole Kidman, Tim Roth, Parker Posey, Frank Langella, Jeanne Balibar, etc. Durée : 103 minutes. Sortie en France le 14 mai 2014.