FAUST d’Alexandre Sokourov

Alexandre Sokourov s’approprie le mythe faustien : un voyage parfois exigeant, mais fabuleux, récompensé par le Lion d’or de la Mostra 2011.

Faust débute dans le ciel. La caméra est bercée par le vent, comme peut l’être, chez Zemeckis, une plume ou un papier pris dans les courants d’air. Un semblant de vue subjective, hésitant à se poser sur terre et à devenir témoin des troubles du docteur Faust. L’apparition d’un miroir, perché dans les nuages, se substitue à l’habituelle dispute entre Dieu et Satan autour du protagoniste. Ce miroir se balance tel un pendule, et devient symbole des ravages du temps sur le docteur. Méphistophélès peut atterrir et soumettre Faust à la tentation.

Fidèle à son imagerie, Sokourov baigne la promenade de ses personnages dans un ensemble d’anamorphoses, de filtres verdâtres et de déplacements aériens. A y regarder de plus près, voir ces figures se mouvoir comme si elles avançaient sous l’eau, distendues et singulièrement teintées, évoque un monde emprisonné dans un bocal de formol. La patte si particulière de Sokourov n’a jamais semblé aussi justifiée que dans ce récit. Le docteur est tenté, testé par Dieu et le Diable, et Sokourov lui donne l’allure d’une de ses propres expérimentations scientifiques ; tel cet ébauche d’homme, créée par l’Homme, que son assistant brandit aux yeux de Gretchen pour l’impressionner et tenter de la dérober à son maître. L’image est incroyable, elle rappelle une créature façonnée par Tom Savini qui, plutôt que de faire sourire, fascine et effraie grâce au pouvoir de persuasion de ses géniteurs. L’ensemble des personnages ressemble à cette bribe d’être humain qui vit, parle mais ne connait pas la liberté. Leurs faits et gestes sont régis par les désirs et la curiosité d’instances supérieures. Le passage sur terre de Faust et de ses congénères fait figure d’essai, au regard de considérations métaphysiques.

L’ombre du Septième sceau de Bergman recouvre l’univers de Faust. Méphistophélès rôde comme la Mort, et sonde les intentions des vivants. La générosité de l’âme, la force des sentiments sont testées par le funeste accompagnateur. Sokourov repousse la scène du pacte avec le Diable tant qu’il peut. Avant de sceller leurs destins, les désirs contradictoires du docteur et de celle qu’il aime sont sans cesse questionnés. C’est durant cette part du récit, la plus longue, que les singularités narratives de Sokourov trouvent parfois leurs limites auprès du spectateur. La contradiction émanant de la cadence des scènes et de leurs dialogues manquent de troubler l’attention. Après la signature, le rythme s’accélère et la fascination grandit, au point de subjuguer sans réserve celui qui se sent prêt à suivre le docteur jusqu’aux limites du Monde sensible. Le fantôme de Bergman devient, plus que jamais, le troisième compagnon de leur dernière route.

Peu avant de fuir sa propre vie à jamais, Faust s’adresse à la lune. En 2011, l’image peut rappeler celle de The Future de Miranda July, sorti plus tôt dans l’année. Dans les deux cas, cette pierre accrochée dans le ciel écoute, conseille, mais ne peut guider l’errant. Il doit trouver en lui ses réponses. Les deux protagonistes refusent que le temps s’arrête et que l’introspection perdure. Ils choisissent de marcher, incertains quant à leur devenir, mais assurés de le diriger. Le docteur Faust débute un nouveau voyage, et met fin au nôtre, pétri d’images folles et sublimes.

FAUST (Japon, 2010), un film d’Alexandre Sokourov, avec Johannes Zeiler, Anton Adasinskiy, Isolda Dychauk. Durée : 134 min. Sortie en France le 20 juin 2012.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

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