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Un apnéiste païen plongeant vers des nuances de bleu toujours plus sombres, des dauphins vus de la surface, des requins vus du fond… La troisième édition du Festival Internation du film de mer et de marins, au Havre, mettait souvent la tête et la caméra sous l’eau. Suffisamment pour que l’on puisse parler de « films de mer et de marins » comme d’un genre à part, ici décliné en huit films.
La première chose qui surprend, dans le film de mer et de marins, est le bruit : car on est aussi, quoi qu’on dise, au festival du film de petits bonshommes plus ou moins discrets immiscés dans le monde du silence. Le film qui mit d’accord les deux jurys (professionnels et jeunes), et s’imposa face à ses six concurrents, est ainsi le documentaire de Maria Murachova tourné sur l’ancien goulag de l’île de Solovki, dans la mer Blanche séparant la Finlande et la Russie – c’était un film très bruyant.
Là-bas, des hommes récoltent des algues avec de longues faucilles leur permettant d’atteindre le fond de l’eau. Ils doivent marcher 15 km pour atteindre le village le plus proche, et monter vers une sorte de pseudo-antenne 3G en bois pour capter un tout petit peu de réseau. Murachova s’attarde pourtant très peu – comme l’aurait fait n’importe qui – sur l’immensité et l’austérité de l’environnement sauvage. A l’écran, quelques nuages, des prairies, mais surtout les rouages mécaniques en gros plan, les clopes et les téléphones portables dans la main calleuse des ouvriers. Et un bruit continu : celui des moteurs (bateaux, tracteurs, voitures…).
Le film de marin repose là-dessus, justement : l’intrusion du terrien dans un environnement qui n’est pas le sien – avec ou sans moteurs, telle est la question. S’il en est un qu’on est content de retrouver sous l’eau, c’est en tout cas celui de la caméra numérique de la réalisatrice, à laquelle on doit le contraste unique produit par la jonction de scènes tournées à la russe dans la pénombre d’une cabane, et le doré resplandissant des algues saisies en HD dans la lumière sous-marine.
Pour aller sous l’eau sans moteur, il faut du souffle : il faut être apnéiste. Un talent qui aura valu à Jacques Mayol, premier humain à être descendu sans machine à plus de 50 mètres de profondeur, d’être au coeur d’un film assez connu (Le Grand Bleu) et d’un documentaire assez inconnu, diffusé sur Arte entre le 30 septembre et le 30 octobre et projeté dans la compétition de CinéSalé : Jacques Mayol, l’homme dauphin. Lefteris Charitos est notamment allé repêcher des images de Mayol au SeaQuarium de Miami datant du début des années 60, mais le documentaire ne s’occupe pas de montrer ici l’engagement anti-captivité qui fut ensuite celui de ce dresseur repenti : il s’agit plutôt de faire de l’élément aquatique non plus un espace scientifique (comme chez Jules Verne par exemple) mais un lieu d’introspection, de voyage fantastique et intérieur, Mayol étant le premier à l’avoir envisagé comme tel. Inspiré par l’orientalisme, l’art de l’apnée consiste alors, pour celui qui apparaît comme un moine autant qu’un sportif, à continuer d’exister dans le silence absolu. C’est-à-dire loin des moteurs…
Clou du festival, la Nuit des Requins se tenait dans un petit cinéma le vendredi soir, de 19h30 à deux ou trois heures du matin (respect aux courageux restés pour le quatrième film lancé à une heure du matin – Shark du regretté David R. Ellis, réalisateur de Destination Finale 2 & 4).
La soirée s’ouvrait sur le quatrième épisode de l’hideuse saga Sharknado, célèbre pour son succès disproportionné quand on connaît son absence d’ambition fondatrice. Dans cette saga qui réussit à maintenir un standard esthétique extrêmement bas en dépit de l’argent qu’elle engrange, le bruit des moteurs est celui des tronçonneuses brandies par de jeunes américains pour se défendre contre les squales tombés du ciel. Ces tronçonneuses emblématiques servent ici à ouvrir les requins comme autant de poupées russes, dans l’unique scène mémorable où le cadet de la bande libère l’un après l’autre les membres de sa famille des estomacs imbriqués, les bêtes s’étant mangées entre elles…
La Nuit des Requins se poursuivait avec l’un des derniers films des frères Weinstein, 47 Meters Down (aka Jacques Mayol is not impressed). Sinistre gag : il y est question de deux jeunes femmes à la merci de gros prédateurs rôdant autour d’elles. Evidemment le nom des deux producteurs libidineux apparaît, en plein scandale sexuel, sur les vagues censées abriter les requins. Il suffit dès lors que les deux vacancières soient filmées de haut lors d’une fête arrosée pour qu’on ait l’impression d’être déjà dans la peau visqueuse de ceux qui les ont repérées, et que l’on éprouve de la peine pour elles alors même qu’elles n’ont pas encore mis un orteil dans l’eau.
Distribué par WildBunch en vidéo à la demande, le film repose entièrement sur la bizarrerie spatiale consistant à tourner un film de requins sous l’eau, les deux filles passant la majeure partie de leur temps enfermées dans une cage échouée au fond de l’eau : pour fuir, il ne leur faut plus nager horizontalement (comme dans The Shallows) mais verticalement (en s’arrêtant à découvert pour décompresser). Fini le coup de l’aileron qui fend la surface, expédié dès le début lors d’une séquence de shark watching : désormais les requins – en images de synthèse très réussies – sont soit entiers, soit absents. Ca ne marche pas plus mal, vraiment. Encore une fois, c’est ici un bruit de moteur qui fait tout le sel de la séquence où depuis le fond, on entend le bateau s’éloigner…
Côté fiction toujours, mais de retour dans la compétition, Heartstone se terminait sur un plan sous-marin bluffant, la caméra suivant un poisson rejeté en train de couler, puis reprenant sa nage en plein cœur du cadre pour s’éloigner aussitôt de l’objectif, vers l’obscurité. Le poisson est un loup-de-mer, rejeté car considéré comme un monstre effrayant, anormal : la métaphore est celle de l’homosexualité. Le cœur de pierre est en effet celui de ce pays d’ascendance viking où la virilité pèse lourd, et où l’attirance pour les hommes ne va pas sans une stigmatisation sociale semble-t-il encore plus marquée qu’ailleurs.
Le film se passe surtout sur terre – dans des fjords immenses envahis de carcasses de moteurs, on l’aura deviné – et dans un désert glacial parfait pour évoquer le sentiment de solitude et d’isolement des protagonistes. Les séquences se suivent et se ressemblent un peu trop, représentant toujours soit une forme soit une initiation, soit une agression sexuelle. Le casting est quand même très jeune : à quel moment une scène de sexe entre ados filmée sans tabou cesse-t-elle d’être un portrait réaliste de la jeunesse, pour redevenir l’enregistrement de jeunes acteurs en train de se tripoter les uns les autres ? La question de la nature exacte des images mérite en effet d’être posée : alors même qu’on voit des poissons se faire torturer et un bélier se faire tuer, le générique de fin n’hésite pas à mentir en affirmant qu’aucun animal n’a été maltraité pendant le tournage. Peut-on donc admettre sans ciller que les adolescents ne faisaient que jouer la comédie ?
Du Yukio Mishima islandais, la compétition havraise passait au Titanic japonais, avec cette tragédie contemplative dans laquelle une institutrice tombe amoureuse d’un kamikaze, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mauvaise idée, mais qui réussit plutôt bien à Michio Koshikawa. Le film est une sorte de comédie musicale low key où un seul personnage se met de temps en temps à chanter a cappella des chansons qui existent déjà. Comme dans Heartstone, on pense par instants à du Malick, pour les échanges constants entre la nature et ces espaces que l’industrie humaine tente de coloniser.
La nature occupe en particulier la bande-son : oiseaux, insectes, bruit des vagues. Encore une fois, c’est ici l’absence du bruit des moteurs qui compte, puisqu’au retour de celui-ci, tout le monde court rejoindre les abris anti-aériens… Quelques scènes plus tard, les soldats ont l’impression d’avoir été abandonnés par leurs ennemis, l’île ayant été rendue à son acoustique naturelle.
CinéSalé était aussi l’occasion de cotoyer quelques uns de ces héros maritimes ayant réellement vu du pays. La compétition s’ouvrait sur Fendre les Flots, de Christophe Guérin, traversée de l’Atlantique en cargo par le réalisateur (qui passe, d’étape en étape, plus de temps dans sa cabine qu’à guetter les baleines). The Week-end sailor, de Bernardo Arsuaga, racontait quant à lui la victoire à la Rasta Rockett de l’équipe mexicaine, en 1973, d’une régate autour du monde (j’apprends du coup l’existence d’un nouveau sous-genre, le « film de régate »). La séance était présentée par Butch, l’un des marins professionnels embauchés par le millionnaire à l’origine de cette équipée mexicaine (ce qui donnait d’ailleurs un côté Prometheus à l’entreprise). « La voile est devenue trop sérieuse aujourd’hui », déplore le matelot, l’un des rares marins à avoir remporté une régate en ayant pu picoler tous les soirs et coucher avec des filles lors d’une escale à Rio.
A la première mondiale de ce film consacré à Alain Bombard, ses enfants étaient là pour confirmer que sa traversée de l’Atlantique sur un zodiaque, en naufragé volontaire donc, y était représentée de façon « plausible » – tout en reconnaissant avoir découvert des choses dont leur père ne parlait jamais. On peut le comprendre, le film mentionnant méticuleusement tous les détails physiques de la condition de naufragé, jusqu’aux diarrhées.
Linéaire, sans sauts hors de la réalité (à l’exception d’un joli plan où la cendre de la cigarette se superpose à la voûte céleste et se met à errer dans les étoiles), Didier Nion calque sa mise en scène sur l’expérience de son acteur, Jérémy Lippmann, confronté à trois mois et demi de tournage en mer, avec une volonté de réalisme telle de la part du réalisateur normand qu’il lui fallut parfois tourner en Méditerranée plutôt qu’en Bretagne, pour que la couleur de l’océan soit raccord. Cette volonté de se frotter au réel fait des merveilles, en particulier lors des quelques plans où la caméra est sous la bâche du zodiaque avec l’acteur, laissant croire à un décor dans une piscine, jusqu’à ce que la bâche soulevée révèle la forte houle grise environnant le canot – et ce n’est pas un fond vert, même si le film ne recule pas devant quelques effets spéciaux ici et là (en particulier une très belle incrustation de baleines tournées par Jacques Perrin pour Océans, dans un plan sur Lippmann adossé à son bateau).
Les 50 000€ apparemment dépensés pour fabriquer une daurade animatronique n’en sont que plus bluffants. Pour une fois que le moteur n’était pas attaché au bateau, mais dans le ventre du poisson…
La 3e édition du Festival CinéSalé du Havre (Festival International du film de mer et de marins) s’est déroulée du 18 au 22 octobre 2017.