ADIEU MANDALAY : Midi Z, un Z qui veut dire Zola

Une jeune Birmane réussit à passer en Thaïlande et travaille clandestinement afin de s’acheter des papiers et espérer une vie meilleure, ailleurs : sans pathos mais avec douceur, le réalisateur Midi Z. invite Emile Zola sur les terres d’Apichatpong Weerasethakul.

 

Ca commence comme un jeu des Mille bornes où les billets de banque remplaceraient les cartes illustrées de marqueurs kilométriques. Une jeune femme, assise sur une chambre à air, traverse un cours d’eau : elle paie le passeur. Elle monte sur une moto : d’autres biftons pour le conducteur. Elle grimpe dans un camion : encore une liasse au chauffeur. En trois transactions et deux plans, un impitoyable territoire commercial se dessine par-dessus la jolie nature environnante. Chaque mouvement a un coût parce que la jeune femme en question est une migrante, quittant clandestinement sa Birmanie natale pour trouver une vie meilleure en Thaïlande, avant d’aller à Taïwan. Vouloir s’arracher à la misère coûte paradoxalement une fortune. Adieu Mandalay voudrait inviter ceux qui n’ont aucune empathie pour ces migrants à respecter au moins le montant exorbitant de leur investissement financier, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Midi Z ne fait toutefois pas dans le plaidoyer. Sans être clinique ou froide, sa mise en scène ne trahit aucune émotion superflue. Le film n’est pas très découpé visuellement, sans pour autant enquiller les plans-séquences. Chaque scène dure le temps nécessaire à l’action, et de l’action, il y en a, même si elle n’est pas spectaculaire, parce que c’est par elle et elle seule que les personnages avancent.

L’histoire racontée par Midi Z devient celle d’une incompatibilité entre sentiments et ambition, rendue plus douloureuse par la condition des personnages

ADIEU MANDALAY de Midi ZIl y a les road movies : Adieu Mandalay fait davantage penser à un motel movie, une étape au cours d’un périple plus grand qui déborde, où chaque minute passée à se tourner les pouces augmente le risque de ne jamais reprendre la route. Le plus agité de tous les personnages s’appelle Lian-qing. C’est la jeune femme qui naviguait à bord d’une chambre à air, au début. Elle rappelle l’héroïne de Deux jours, une nuit, toujours à négocier les arrangements susceptibles de lui permettre de travailler enfin plutôt que de continuer à être exploitée. Et comme chez les Dardenne – mais plus calmement et sans chercher à rivaliser avec leur don de rythmer les images sans recourir systématiquement aux cuts – la dimension mélodramatique enfle derrière l’arpentage du terrain social. Parce que Lian-qing se rapproche d’un autre clandestin, Guo, qui travaille pour la même usine de tissage, un lieu dont ils ne sont pas censés sortir, où ils dorment et mangent, où ils portent un numéro (et où un frisson de tendresse peut traverser la moiteur, quand Guo enlève délicatement des bouts d’étoffe de la nuque et des épaules de Lian-qing). Parce que plastiquement, ces fils tirés partout à travers l’espace paraissent matérialiser les rayons diffractés de la lumière, et que nous ne savons plus si on fabrique ici des tissus ou des lentilles optiques. Et parce que l’histoire racontée par Midi Z devient celle d’une incompatibilité entre sentiments et ambition qui, si elle pourrait se dérouler dans n’importe quel milieu, est rendue plus douloureuse par la condition des personnages. Une histoire qu’on pourrait lire chez Zola ou voir dans certains films de D.W. Griffith, un romanesque dont le naturalisme est trahi une seule et unique fois par une allégorie visuelle inattendue, poétique et inquiétante, qui rappelle que la Thaïlande où se déroule l’action est aussi le pays d’Apichatpong Weerasethakul.

 

ADIEU MANDALAY (Road to Mandalay, Allemagne, Birmanie, France, Taïwan, 2016), un film de Midi Z, avec Kai Ko, Ke-Xi Wu. Durée : 108 minutes. Sortie prévue en France le 26 avril 2017.