Dans PERSONAL SHOPPER, les fantômes sont les vivants
Magnifique film de fantômes où la solitude ne concerne pas seulement le disparu, Personal Shopper décrit le manque éprouvé par son héroïne, qui plus elle tente de le combler plus elle s’isole.
Maureen (Kristen Stewart) a perdu son frère jumeau Lewis, mort d’une crise cardiaque trois mois plus tôt. Elle et lui étaient médiums, et s’étaient juré que le premier à mourir ferait signe à l’autre depuis l’au-delà. La jeune femme se rend à Paris où il vivait pour tenter de convoquer son esprit. Quand une connaissance lui demande ce qu’elle fera après avoir obtenu un signe de lui, elle lui répond amèrement qu’elle continuera simplement de vivre. L’ex petite amie de Lewis ressent le même manque depuis sa mort, le même vide que Maureen. «Je veux vivre» soupire-t-elle, quand elle réfléchit aux jours à venir. Depuis la tragédie, l’une et l’autre semblent avoir perdu toute force vitale. Dans Personal Shopper, les fantômes sont les vivants. La vie est un isolement éternel chez Assayas, pour détourner la formule d’un autre film de fantômes, Kaïro de Kiyoshi Kurosawa, dans lequel la mort ne promettait aucune issue. La ressemblance des deux œuvres se fait même limpide lors d’une belle scène d’apparition spectrale, à travers une fenêtre, à l’arrière-plan, en silence.
Kaïro de Kiyoshi Kurosawa (2001)
Désemparée, Maureen cherche à tout prix une trace de Lewis dans son monde. Elle a besoin de sentir sa présence, mais n’y parvient pas. Elle a besoin de sentir les choses, d’où son envie irrépressible de revêtir les habits de Kyra, la star dont elle est la «personal shopper». Les sentir sur sa peau, sur soi, être sûr. Il y a l’absence et la présence, et même quand la présence du disparu se fait plus tangible, encore faut-il pouvoir la saisir. Être sûr, encore. Les manifestations de Lewis gagnent bien en consistance au fil du film, c’est d’abord une fumée qui entoure Maureen (chez lui mais aussi visible sur un lac), puis de l’eau qui s’écoule mystérieusement des robinets de sa demeure, enfin des verres brisées à plusieurs reprises. Mais paradoxalement, il lui est de plus en plus difficile de les appréhender, même physiquement.
Les marques d’une présence fantomatique se répètent pourtant, de façons variées. Quand la jeune femme s’intéresse à des séances de spiritisme et visionne un film sur YouTube, on observe les éclats de lumière de sa robe de diamants se refléter sur l’écran, et l’on aimerait y déceler un nouveau signe de Lewis pour tenter de joindre sa sœur. Comme dans la scène du diner de Mulholland Drive (David Lynch, 2001), une caméra qui flotte soudainement autour de deux personnages, et c’est déjà la présence d’un être invisible dans l’espace. Ici, Assayas le fait exactement quand Maureen dit à sa belle-sœur avoir perçu le retour de son jumeau. Plus tard, les peintures abstraites de Hilma af Klint sur lesquelles se renseigne l’héroïne, censées avoir été guidés à l’artiste par des esprits, semblent ressurgir ça et là comme pour lui indiquer qu’elle est sur la bonne voie : on les retrouve peu ou proue sur le sweat shirt de la star Kyra, ou encore sur les murs des couloirs d’un hôtel où une large part de l’intrigue attend sa résolution.
Un contact est possible. Les signes que le signe que Maureen attend de son jumeau est possible. Mais plus on le cherche, plus on s’isole. «N’y a-t-il que moi ?» demande-t-elle tremblante lors d’une scène-clé du film. Un isolement éternel.
Maureen joue avec le feu, joue à se faire peur. Cet isolement qui pourra l’étreindre à jamais, elle le provoque. Quand elle discute par sms interposés avec ce qui pourrait être un simple stalker ou bien un esprit, elle bascule régulièrement en mode «avion», simulant sa propre disparition. Pour Olivier Assayas, de même que lorsqu’il filme l’improbable lévitation d’un verre qui soudain se brise avec fracas, son but est aussi de générer une forme de rétention. Rétention puis déchargement, comme quand Maureen supprime ce mode «avion» et voit les prises de contact de son mystérieux interlocuteur se déverser en différé et accéléré, pour un sommet d’angoisse. A cet instant, on la pense maîtresse de son destin, elle aurait encore la possibilité de réintégrer le monde, après s’en être éloignée sciemment. Personal Shopper devient bouleversant lorsque l’on devine que Maureen n’aura pas toujours cette capacité, que d’ici peu elle se sera éloignée trop longuement du monde des vivants pour espérer le retrouver un jour.
PERSONAL SHOPPER (France, 2016), un film de Olivier Assays, avec Kristen Stewart, Sigrid Bouaziz, Lars Eidinger. Durée : 1h45. Sortie en France le 14 décembre 2016.