HAEWON ET LES HOMMES de Hong Sangsoo

Été comme hiver, Hong Sangsoo tourne sans relâche (14 films en 17 ans avec Haewon et les hommes). Mais été ou hiver, l’humeur de ce qu’il tourne varie selon la saison.

On avait quitté Hong Sangsoo sur la plage, en été, on le retrouve dans la grisaille hivernale de Séoul. Comme celle des humains, l’humeur des films s’en ressent forcément et les distingue même quand ils sont très proches dans leurs mécanismes. Ainsi Haewon et les hommes fonctionne selon un système d’échos et de redites voisin de celui de son prédécesseur In Another Country, et néanmoins les émotions qui en émanent prennent la direction opposée. La joie aérienne et solaire s’efface, et laisse place à un spleen lancinant, du genre qui vous noue la gorge et entrave vos mouvements. Même le phénomène, de nature prodigieuse, d’apparition d’une star française voit son pouvoir d’enchanter la réalité annulé. Alors qu’Isabelle Huppert galvanisait In another country, sautant avec espièglerie d’une histoire et d’un personnage à l’autre jusqu’à trouver une ligne de fuite heureuse, dans Haewon et les hommes Jane Birkin est cantonnée à une scène de rêve en prologue du récit, et sans influence sur celui-ci. Qu’elle fasse à l’héroïne le beau compliment de lui dire qu’elle ressemble à sa fille Charlotte, qu’Haewon admire éperdument, ne sera d’absolument aucun secours à cette dernière dans les déboires sentimentaux qui vont l’occuper tout le reste du film.

IN ANOTHER COUNTRY (à gauche) et HAEWON ET LES HOMMES (à droite)

En amour tout était possible dans In another country, et plus rien ne l’est dans Haewon et les hommes. Il est trop tard pour ses personnages dans toutes les situations présentées, à la marge du récit comme en son centre : Haewon et sa mère ne se verront plus, cette dernière partant vivre au Canada ; en concubinage depuis sept ans avec un homme marié, l’amie d’Haewon ne peut plus espérer autre chose de cette relation que le statu quo ; l’inconnu qui propose à Haewon de l’épouser à leur première rencontre repart le soir même en Californie, ce qui rend caduque sa demande que l’on imagine pourtant sincère. La romance entre l’héroïne et Seongjun, son professeur – de cinéma évidemment chez Hong Sangsoo – appartient déjà au passé lorsque le film nous introduit ces protagonistes. Cette histoire-là n’est plus mais, comme il n’existe pas plus d’alternative, Haewon et Seongjun n’ont d’autre choix que de tenter de la ranimer, maladroitement et sans avoir l’allant nécessaire. Haewon et les hommes est ainsi autant au point mort en surface que dans son essence. Comme le paysage autour d’eux les âmes des ex-amants sont contraintes à l’hibernation ; tout épanouissement leur est refusé pour le moment.

Jeong Eunchae dans HAEWON ET LES HOMMESLe film est piégé dans un espace à cheval entre le physique (les lieux sont précisément nommés, décrits…) et le mental (…tout en étant mutés en décors symboliques, déréalisés), un enchevêtrement de réalité et de rêves qui ne peut être ordonné – l’épilogue abrupt scelle pour de bon notre impuissance sur ce point. Quelque part entre un déphasage lynchien et une dépression, les personnages repassent sans cesse par les mêmes endroits, ressassent les mêmes peines, butent sur les mêmes écueils. Chaque tentative de raccommodage entre Haewon et Seongjun se termine mal, on se croirait dans une variante d’Un jour sans fin dépouillée de tout échappatoire comique et n’ayant gardé que son goût amer. Hong Sangsoo réduit la marge de manœuvre des êtres à une peau de chagrin, non pas car il leur veut du mal mais parce que c’est là son humeur de l’instant. Sa mise en scène récursive et réglée avec minutie devient dans ce cas une prison, quand d’autres circonstances en font un tremplin à l’émancipation des personnages. Cette mise en scène que pratique Hong Sangsoo, en définitive, est humaine : comme nous elle peut avoir une perception tout en noir, ou tout en rose, d’actes et de circonstances qui en eux-mêmes ne varient pas ou si peu.

HAEWON ET LES HOMMES (Nugu-ui ttal-do anin Haewon, Corée du Sud, 2013), un film de Hong Sangsoo, avec Jeong Eunchae,Lee Seongyun, Yoo Joonsang, Jane Birkin. Durée : 90 min. Sortie en France le 16 octobre 2013.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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