JEUNE ET JOLIE de François Ozon

Premier long métrage français vu en compétition, Jeune et jolie a marqué le retour de François Ozon à Cannes et celui de son cinéma à la sexualité.

François Ozon n’arrête jamais de tourner – quatorze films en quinze ans, son précédent est sorti en octobre dernier, c’était Dans la maison. Au contraire de ce dernier, divertissant mais assez vain, Jeune et jolie s’ajoute aux sommets de cette carrière menée à marche forcée. La raison qui fait les bons Ozon est toujours la même : le sexe y est laissé comme seul thème souverain au centre du film, sans être détenu dans un contexte ou transformé en instrument au service d’un autre motif. Jeune et jolie rejoint ainsi les beaux et libres SitcomGouttes d’eau sur pierres brûlantesSwimming pool. On y retrouve pourtant une base narrative proche de celle de Dans la maison, presque un décalque – un adolescent qui sort du lot, décliné ici au féminin, et des faire-valoir « normaux » avec lesquels le personnage principal va interagir selon ses règles, ses envies.

Isabelle a dix-sept ans. L’été de son anniversaire, elle s’arrange pour perdre sa virginité. À l’automne, elle se prostitue ; une fois l’hiver venu, elle se fait confondre par ses proches qui cherchent alors à comprendre, à corriger un mal imaginaire. Isabelle n’éprouve aucun tourment, aucun manque, aucune rancœur. Il n’y a chez elle aucun conflit moral interne, ce qu’Ozon conçoit sans peine car au fond Isabelle, c’est un peu lui – seul(e) à l’aise avec la sexualité dans un monde essentiellement rempli d’individus (ou de réalisateurs) qui se débattent comme ils peuvent avec leurs complexes sur ce sujet. La seule problématique existante dans Jeune et jolie est celle de la possibilité, malgré ce décalage, de l’adaptation d’Isabelle à cette société des gens soi-disant « normaux ». Soi-disant seulement, car tout le monde a sa propre perversion, son espace où il déroge à la règle. Les exemples abondent, dans la ronde d’Isabelle dans une fête de jeunes de son âge (où ici on se drogue, là on couche à trois, dans les toilettes on vomit d’avoir bu à l’excès) comme chez les adultes donneurs de leçons maladroites qui lui tournent autour.

Marine Vacth dans JEUNE ET JOLIE de François OzonIsabelle met grands et moins grands face à leurs contradictions avec un plaisir amusé plutôt qu’une perfidie vacharde. Le jeu de massacre n’a pas lieu ; Ozon avance ses pions avec une force tranquille, il n’a plus besoin de mordre ou de passer par des conflits ouverts et des plaies creusées à vif comme dans ses œuvres de jeunesse. Sous l’effet de cette sérénité l’humour s’affine, et la mise en scène se parfait. Jeune et jolie est d’une maîtrise totale dans sa forme. À tous les étages, de la composition des plans à la conduite du récit, tout glisse avec un naturel savoureux, assuré. Voilà un film où, tout simplement, un cinéaste qui sait ce qu’il fait filme un personnage qui sait ce qu’elle fait. Ozon épouse la ligne d’Isabelle, comme quoi si ça ne fait de mal à personne, alors c’est qu’il n’y a pas de mal du tout. Or rien de mauvais ne naît de la prostitution de l’héroïne, pratique que le film remet, avec un beau détachement, à sa place comme un élément parmi les autres dans la mosaïque plus vaste de la sexualité.

La prostitution apporte à Isabelle l’excitation de la variété, de l’inconnu, de la flatterie aussi puisque les hommes paient cher le droit de lui faire l’amour. De plus, la plupart des passes tarifées d’Isabelle lui sont plus agréables que son dépucelage bâclé sur la plage, où elle est traitée comme un objet inerte par son partenaire. Le mur dogmatique entre argent et plaisir est ainsi abattu, de même que le lien chimérique entre sentiments et jouissance. Cette dernière se suffit à elle-même, elle est souveraine. Avoir percé ce secret met Jeune et jolie à l’abri de toute solennité guindée, de toute morale contraignante à la main lourde. La subtilité l’emporte sur la désignation de bons et de mauvais. Isabelle s’en trouve elle aussi grandie, intérieurement ; mais affectée dans son rapport aux autres. Car la question de son adaptation reste au final irrésolue, l’épilogue, porté par une superbe apparition spectrale, maintenant l’ambiguïté à ce sujet. Il est probable qu’Isabelle restera toute sa vie un pied dans la norme et un pied en dehors, et qu’elle s’en accommodera, comme Ozon dans ce film.

JEUNE ET JOLIE (France, 2013), un film de François Ozon. Avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot. Durée : 94 min. Sortie en France : 21 août 2013. 

 

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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