EKA & NATIA – CHRONIQUE D’UNE JEUNESSE GEORGIENNE de Nana Ekvtimishvili et Simon Groß
Tranches de vie de deux adolescentes, qui ne dépassent jamais le stade de l’anecdote. Du sous-Dardenne, qui en reprend la forme sans le fond.
Le titre français complet de Eka & Natia fait preuve de plus d’honnêteté que son équivalent anglophone In bloom, porteur d’une promesse d’affirmation des personnages qui ne sera jamais concrétisée. C’est tout le contraire qui se produit, le film restant enlisé dans un surplace total sur le plan physique autant qu’intellectuel. De la même manière que Lifelong, vu dans la foulée à la compétition de Paris Cinéma, incarne le pire du cinéma d’auteur maniériste, Eka & Natia représente le pire du cinéma d’auteur naturaliste. Parmi les innombrables copies du style des frères Dardenne qui ont essaimé un peu partout, particulièrement en Europe de l’Est (la nouvelle vague roumaine, le bosniaque Djeca…), celle-ci compte au nombre des plus ratées. L’absence de jugement y devient insignifiance, la captation terre-à-terre des faits et gestes des deux héroïnes donne un film restant planté là, le regard et les pensées vides. On est dans la « chronique » au sens le plus sommaire, et superficiel : une histoire qui se contente de tirer à la ligne, dénuée de tout recul, de tout surmoi.
Eka & Natia ne traite en aucune façon de politique – on nous précise initialement que l’action se déroule à Tbilissi en 1992, mais le film est en réalité tout à fait générique, il ne dit ni ne tire rien de ce contexte particulier –, et pas plus de tragédie ou de morale. Ce qui arrive aux personnages n’est investi d’aucun message, ne supporte aucun drame profond, et dès lors n’opère jamais le saut de la mince anecdote vers le récit à portée universelle. Ce refoulement de toute prise de position sur les événements devient même gênant, lorsqu’il fait s’échouer le film dans un pénible silence à propos du destin de cauchemar d’une de ses héroïnes de quatorze ans : elle est violée puis épousée de force par son agresseur, qui l’empêche ensuite d’aller à l’école et tue de sang-froid les hommes qui la regardent dans la rue. À cela, tout ce que Eka & Natia trouve à répondre est un « c’est la vie » résigné et vaguement concerné. Avant de s’achever comme Lifelong (encore lui), en sacrifiant à un cliché irritant du cinéma d’auteur – la fin en forme de coupe abrupte et arbitraire au milieu d’une scène. Absolument pas une conclusion, tout juste une interruption.
EKA & NATIA – chronique d’une jeunesse géorgienne (Géorgie, Allemagne, France, 2013), un film de Nana Ekvtimishvili et Simon Groß, avec Lika Babluani, Mariam Bokeria, Zurab Gogaladze. Durée : 102 min. Sortie en France le 27 novembre 2013.